mercredi 6 décembre 2017

La revue Phaéton, livraison 2017

Résultat de recherche d'images pour "éditions phaéton, 2017"La revue Phaéton, sous la houlette de l'écrivain Pierre Landete, nous revient cet automne avec un fort volume consacré à la ville de Bordeaux. La première partie constitue un ensemble de contributions universitaires.

Jean-Rodolphe Vignes évoque l'exil à Bordeaux de Gabriel de Tarega, médecin victime de l'Inquisition à la fin du quinzième siècle en Espagne, et le développement parfois tumultueux de l'hôpital Saint-André. Cet article très documenté pourra faire penser aux aventures de Zénon dans L'oeuvre au noir de Marguerite Yourcenar.
Viennent ensuite deux études très détaillées, (Charles-Henry Cuin, Gérard Hirigoyen et Amélie Villéger), sur Emile Durkheim installé à la faculté de Bordeaux mais impatient de rejoindre la Sorbonne pour faire connaître la sociologie naissante.
Résultat de recherche d'images pour "ludovic trarieux"Le lecteur retiendra aussi l'hommage rendu à Ludovic Trarieux par Robert Badinter en 1984 grâce à la verve de Bertrand Favreau dans son texte intitulé L'inauguration. Garde des Sceaux en 1895, Ludovic Trarieux prend courageusement la défense de Dreyfus et se retrouve au ban de sa famille politique dévorée par l'antisémitisme. N'ayant pas la plume aussi acérée que celle de Zola, son combat connaît un retentissement moindre mais le conduit à fonder la Ligue française des droits de l'homme et du citoyen en 1898. Près d'un siècle plus tard, l'hommage de Robert Badinter n'est pas unanimement applaudi. La gangrène antisémite corrompt toujours certains esprits. La veuve d'un ancien bâtonnier lâche ce trait glaçant : "Après tout Dreyfus n'était peut-être pas coupable".

La partie centrale de la revue est consacrée aux écrivains qui ont séjourné ou vécu à Bordeaux, de la fin de l'Antiquité à nos jours. On retrouve Ausone, les inséparables Montaigne et La Boétie, le romantique allemand Hölderlin, la féministe Flora Tristan que la bourgeoisie bordelaise haïssait, Jean de la Ville de Miremont fauché par la guerre en 1914, et, plus près de nous, Jean Vautrin le gouleyant, Thierry Metz l'incomparable ou, encore, Jean Forton dont Pierre Veilletet (absent de cette brève anthologie) était l'un des plus fidèles admirateurs. Quelques auteurs vivants sont également présents dont Florence Vanoli, Brigitte Giraud, Eve de Laudec et Isabelle Mayereau, parolière et chanteuse qui connut la notoriété à la fin des années soixante-dix.

La dernière partie réunit des textes sans liens précis : traité d'héraldique, nouvelle policière, glossaire du bordeluche et questionnaire de Proust parmi d'autres curiosités. Notons plus particulièrement, sous la plume ciselée de Patrick Rödel, les relations ambivalentes que François Mauriac entretint toute sa vie avec Bordeaux ville de son enfance. " On oublie trop souvent que l'essentiel des romans mauriaciens n'ont pas Bordeaux pour cadre, mais ces bourgs des Landes où l'ennui est le terreau des plus sombres passions."

Enfin, Phaéton accorde une place non négligeable aux illustrations. La photo en médaillon de la couverture nous montre la fameuse Jaguar en équilibre au bord du vide dans un étage du parking cours Victor Hugo. On note aussi un dessin de Goya, autre exilé à Bordeaux, une gravure du temple des Piliers de Tutelle fort apprécié d'Ausone, une Nature morte et bouteille vide de Geneviève Larroque, un mascaron de la Place de la Bourse, une photographie de la Cité du vin signée Letizia Felici, une toile d'Alfred Smith montrant Le quai de Bordeaux, le soir en 1892...

La revue Phaéton est disponible dans les librairies bordelaises et parisiennes ( Les cahiers de Colette, 4ème ; Librairie Pippa, 5ème ; Amalivre, 15ème et Librairie de Paris, 17ème). Egalement sur internet pour la somme de 20 €.

image phaéton cervantes.fr
image Ludovic Trarieux dreyfus-culture.fr

dimanche 3 décembre 2017

Sandra Lillo & Cédric Merland, Le silence coule sous les branches

Découvrir de nouveaux talents, comme découvrir de nouvelles terres, me transporte dans l'étonnement des premiers matins du monde. Ainsi, la poésie simple et puissante de Sandra Lillo (reverdienne parfois) et la lumière nuageuse des images de Cédric Merland, apprivoisée avec le noir dans Le silence coule sous les branches.

Sandra Lillo regarde les paysages comme elle regarde des visages. Elle est aussi regardée par eux quand elle [range dans des valises imaginaires / les routes les paroles rabattues / la poussière des étés perdus]. Tout un va-et-vient fragile entre la mémoire des chambres "dans lesquelles l'enfance dort" et les trouées des fenêtres, avec en bruit de fond les rumeurs de la mer et le frémissement des grands arbres au passage des ambulances. La douleur aussi est en maraude, dans la fatigue, dans le silence, dans l'impuissance de naître vraiment. Mais naître à quoi ?

En résonance, en chambre d'écho pourrait-on dire, les images de Cédric Merland nous livrent les tourments de la lumière en prise avec le noir. Des lignes souvent dessinent des géométries ouvertes ou fermées, (barrière, grillages, bande blanche au mitan du bitume, bastingage en demi-lune, fils électriques oblitérant le ciel ou réverbère sous le crachin des nuages...) Nul apprêt dans ces images de hautes solitudes sous le firmament trop vaste, seulement cette prescience du regard, cette anticipation de l'instant qui vient. Même quand les horloges rouillées nous renvoient à nos chimères qui, elles aussi, participent de cette naissance qui n'en finit pas.

Ce magnifique ouvrage de Sandra Lillo et de Cédric Merland, au format carré, est présenté dans une boîte-coffret. Les pages, non numérotées, non reliées, peuvent s'assembler selon les hasards de la lecture, les émotions, les intuitions suscitées au gré des agencements. L'impression des photographies, très soignée à en juger par la profondeur des noirs, fait de ce livre-objet une authentique oeuvre d'art.

Nous saluons le travail d'infinie patience de l'éditrice Valérie Ghévart à l'enseigne de La Centaurée pour ce superbe tirage.

Extraits : 

On retient ce qui reste

à l'intérieur des cordes tendues par
le monde

une lampe allumée dans la nuit un
souvenir

comme une minute qui ne s'achève
pas

La mer est toujours derrière nous 

*

Le lampadaire éclaire l'arbre devant
la fenêtre

le vent chuinte dans ses feuilles le
sommeil d'une forêt entière

Tu ne veux pas fermer les yeux
la nuit du dedans éteint les étoiles

la terre ne suffit pas

*

Vapeurs d'eau de terre mouillée
au bas des fenêtres

l'orage gronde de loin en loin

Tu aimerais que tout s'arrête
les claquettes du manège sur la place
du marché

l'homme qui crie dans la rue le soir
qu'on lui ouvre la porte ou les veines

les jeux de dames jamais
terminés

*

Le silence coule sous les branches, aux éditions La Centaurée, coûte 24 €. Une excellente idée pour un cadeau original à Noël.

Aucune image disponible sur Internet. C'est dommage !

dimanche 26 novembre 2017

Murièle Modély, Tu écris des poèmes

Murièle Modély, en évoquant l'île de la Réunion où elle est née,  pourrait reprendre le célèbre mot de Kafka à propos de Prague : " Cette petite mère a des griffes."
Dans Tu écris des poèmes, son sixième recueil publié, l'auteure de Penser maillée questionne de nouveau l'acte d'écrire. Et l'île grandit avec le poème dont la langue résiste au plus profond des plis du corps. " tes poèmes sont / n'importe quelle partie de ton corps / n'importe laquelle / une jambe / un rein / un os / n'importe laquelle / sauf la tête. 

La poésie modélienne, hachée menu ou en longues traînes, resserrée ou éparpillée est une texture-mixture travaillée par les fluides, les sucs, les menstrues, les pulpes et les morsures. Un corps-à-corps avec ce qu'il y a d'inaudible et d'étrange-étranger dans les plaies du quotidien. 

Bien sûr, Murièle Modély s'égare dans cette triangulation de l'île, du corps et du poème. La quête est d'autant plus infinie que l'être Modély n'est pas certain d'être ce qu'il est. Dans la deuxième partie du livre intitulée à la lettre, l'auteure s'amuse, entre ironie et amertume avec les consonnes et les voyelles de son nom. Qui pourrait bien être mrlmdl ? Qui se cacherait derrière uieeoey ? Un nom pareil n'est pas prononçable, n'est pas appelable : il n'existe pas !

Dans la dernière partie, des signes, essentiellement constituée de proses, chaque texte s'ouvre-ferme par des signes entre crochets : [ ? ], [ ( ) ], [ ; ]... Et le lecteur (mais il s'en doute) découvre que Murièle Modély, même si elle ne dédaigne pas le cru et le trash des sécrétions glandulaires, écrit aussi, et ô combien, avec sa tête. Pour répéter encore et encore l'incertitude, l'impuissance de l'être avec la lettre.

Extraits :

tu écris des poèmes dans une profusion d'odeurs, de
couleurs
pour attraper le brin d'herbe et son suc
le souvenir ultime, premier
loin    loin
vibrant et lumineux comme le mot racine
dissimulé dans ta première dent de lait

*

tu dois pourtant les écrire
tes poèmes
tu n'as pas le choix
il te faut retranscrire
le sang qui palpite à tes tempes
(cliché)
le dérèglement des synapses
de la mémoire
il te faut mettre
sur la table
(poncif)
ce que ne peut le récit

*

[ , ]
parfois, quelque chose file, dans la poitrine, l'espace, entre l'inspiration, l'expiration, de la page, contre ses lèvres, tu ne sais pas vraiment, parfois, un postillon tombe, la phrase chute, fait une boucle, sursaute, accroche coeur, sur le menton, parfois tu comptes, tu recomptes, les champs ouverts, par la courbe des répétitions, tu fais semblant, les petits oui, les petits non, souffle coupé, sous la virgule, ton lent et mol émiettement,

Un bel ensemble avec un ton à nul autre pareil. Nous en recommandons vivement la lecture. Tu écris des poèmes (comme Penser maillée) est publié aux éditions du Cygne en lien sur ce blog, pour la somme de 12 €.

image éditions du Cygne


dimanche 19 novembre 2017

Yannick Torlini, ce n'est rien

TARMAC éditions : écritures contemporainesLe monde selon Yannick Torlini dans son recueil ce n'est rien est le précipité d'une catastrophe annoncée. Dans le corps comme dans la langue. Dans toute chose effacée, dépecée, sinistrée. Dans tous les agencements, (le mot agencement revient plusieurs fois dans le flux textuel), de la lumière et du temps. Qu'est-ce qui tient tout en ne tenant pas en cet univers dévasté qu'on peut imaginer couvert d'ossuaires et de cendres ? 

Lisant et relisant la langue torlinienne, ses bégaiements obsessionnels longuement déroulés, j'ai pensé à la solitude ultime de l'humain dans le théâtre de la cruauté. J'ai pensé à un désastre post guerre thermonucléaire façon Cormac McCarthy hanté par le fantôme d'Artaud. J'ai vu de grands aplats de gris drapés en de longs riffs électriques ponctués de sourdines menaçantes. 
Mais "tu sais comme moi que nous tenons pourtant", écrit Yannick Torlini à la fin de son livre. Le pire, même quand il nous submerge, laisse une petite place à l'espoir qui luit comme le brin de paille verlainien. " un rire sera possible encore. tu sais comme moi qu'il n'y a pas d'autre solution." Nous sommes des Condamnés à vivre.

ce n'est rien de Yannick Torlini est un exercice de lucidité qui glace et fascine, sans aucune concession aux apprêts habituels du langage. Nous conseillons vivement à ce jeune auteur de 29 ans de proposer son texte à un metteur en scène de théâtre. Oui. Absolument.

Extrait :

quelque chose du temps et des jours. quelque chose des ravins et des ronces. quelque chose sans mémoire et sans traces.

quelque chose quelque chose qui ne s'entend pas. ne se sent pas. ne se touche pas.

quelque chose de l'aveugle et ce monde ce monde m'a trouvé ici tremblant aveugle. tête et jours et temps. tout ce qui m'a trouvé tremblant contre les murs aveugles.

à gratter avec les ongles. arracher la peau sur la pierre. gratter encore avec le sang et l'os et la sueur versée. tremblant contre les murs tremblants.

gratter ongles. sang. os. sueur.

ce n'est rien de Yannick Torlini est publié par Jean-Claude Goiri aux éditions Tarmac (10 €). Les éditions Tarmac sont en lien sur ce blog.

image éditions Tarmac

jeudi 9 novembre 2017

Le vase et le sucrier

                                                    1

Résultat de recherche d'images pour "sucrier"Il était une fois une petite fille sage qui jouait à la balle dans le salon de la maison. Elle y jouait sagement pour ne rien déranger du calme. Car c'était une maison calme et silencieuse en cet après-midi de mai. Maman, assise à la table de la cuisine, reprisait-elle une manche ou un ourlet ? Comment savoir ? Le souvenir est si ancien. Peut-être feuilletait-elle une de ces revues bon marché que les femmes aimaient s'offrir, en soupirant sur les riches heures de sa jeunesse en allée ! 
Dans le salon comme partout dans la maison, l'ordre imposait sa loi. Les traces de doigt n'étaient pas tolérées sur le verre fumé de la table basse. La poussière ne trouvait aucun refuge dans les recoins et sous les meubles. Ici, on traquait même les ombres quand elles ne s'accordaient pas à la lumière. La petite fille sage savait cela. L'importance éternelle de l'ordre pour que le monde ne fasse pas naufrage. Maman le disait et le redisait. Papa le rappelait chaque soir, après qu'il avait soigneusement replié les pages du Figaro. L'ordre était la pierre angulaire de tout édifice, sa préservation un devoir élémentaire.
La petite fille sage maîtrisait les rebonds de sa balle. Ils battaient une immuable mesure, comme le métronome de la voisine occupée à ses gammes, comme la pendulette aux danseuses dans le manège des minutes et des heures. Mais un oiseau passa devant le rideau de la fenêtre. Un oiseau ou un rayon de soleil surgi d'un nuage épais. Comment savoir ? Le souvenir est si ancien. La petite fille sage se laissa distraire. Eut un geste maladroit. La balle s'échappa, rebondit plus fort. Et. Oh ! Le vase de maman tomba de la commode, se brisa. Le calme aussitôt chavira. Le silence après la chute se mit à sentir la mort. Une gifle puis une autre claquèrent. La mère déjà s'en retournait à son ouvrage, sans un mot, sans un cri. Il n'y avait rien à dire, rien à crier. L'irréparable se passe de commentaires. Le vase de maman avait été le vase de mémé. Et de la mémé d'avant. Et de celle d'avant encore. Une relique. Une relique profanée. Un jour, la mère l'attendait, le préparait, la petite fille sage paierait. Le prix fort.

                                                    2

C'était maintenant juillet. Les derniers jours à l'école. La petite fille sage ne pensait plus guère au vase de maman qui avait été celui de mémé puis de la mémé d'avant. Elle continuait à jouer à la balle mais seulement dans la cour de récréation. Elle attendait les vacances. Les promenades avec les copines, bras dessus bras dessous, menus secrets chuchotés, rires qui empourprent les joues. Pendant ce temps, maman continuerait ses travaux de couture, assise à la table de la cuisine, le dos bien droit, l'aiguille méthodique. Elle aurait, qui sait, acheté un nouveau numéro de la revue bon marché, et lirait, confite en ses soupirs, quelques potins un peu osés à propos d'une vedette de cinéma. Mais, avant les vacances, il y avait la fête de l'école. Les chants qu'on préparait, les danses qu'on répétait. La petite fille se faisait plus fébrile et moins sage. Sa voix montait d'un ton, pouvait gêner la lecture du Figaro. Oh ! Pardon ! Je ne savais pas que tu dormais. C'est qu'il y avait aussi la tombola organisée par les maîtresses à la cantine. Tous les enfants repartaient avec un petit quelque chose. Cette année, parmi les babioles de consolation, les lots qui sortaient du lot étaient plus importants que d'habitude. Il y avait un tourne-disques et même un vélo. La petite fille un peu moins sage convoitait un sucrier en pyrex. L'objet donnait dans le marquis ; un galon d'or dessinait un ovale autour d'un angelot soufflant dans un buccin à tête de dragon. On aurait dit une vraie porcelaine de Saxe. Mais la petite fille se moquait bien des porcelaines de Saxe. Le dragon, surtout, la fascinait, avec ses dents vertes.

                                                   3

Lorsque le directeur de l'école annonça que la petite fille de moins en moins sage avait gagné le sucrier en pyrex, celle-ci sentit une étrange bouffée de chaleur lui traverser le corps. Elle se leva, confuse, chercha des yeux la maîtresse qui remettait les lots et vit un oiseau passer devant les hautes fenêtres de la cantine. Un oiseau ou un rayon de soleil surgi d'un nuage épais. Comment savoir ? Le souvenir est si ancien. La petite fille glissa sur le carrelage. Faillit tomber. Oh ! Puis le sucrier se trouva dans ses mains qui tremblaient. La maîtresse souriait. Le directeur de l'école souriait. Mais pas le dragon. Les écailles de sa queue tremblaient. Celles de son échine cliquetaient déjà. Et ses dents vertes, soudain plus longues, soudain plus pointues, jaillissaient comme des couteaux. Le dragon avait peur. Il devinait les pensées que la petite fille aurait bientôt. Il en imaginait les irréparables conséquences. Que faire ? Un dragon n'a pas tous les pouvoirs. Il s'est résigné. Ses écailles ont cessé de trembler. Ses dents vertes ont retrouvé leur longueur normale. De toute façon, vivre pendant des siècles sur un sucrier en pyrex, ce n'était pas tellement joyeux. Alors...

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De l'école à la maison, la petite fille n'avait que dix minutes à marcher. Quasiment une éternité quand on est pressée. Mais pressée pour quoi ? Elle n'en avait pas encore conscience. Elle était heureuse. Elle découvrait que les rêves, si on s'applique à bien les rêver, pouvaient s'inviter dans la réalité, et c'était un tel étonnement que son coeur battait hors de toute mesure. Et. Oh ! Allait-il lui échapper comme ? Etait-ce seulement possible qu'un coeur puisse s'échapper d'une poitrine et ? La petite fille, presque effrayée, retrouva sa sagesse, ralentit le pas. Une mésange la doubla en zinzinulant. Une abeille voulut l'enfermer dans des cercles concentriques. Une mésange et une abeille, en voilà des signes ! Une lueur tremblante éclaira peu à peu l'esprit de la petite fille. Elle ne se servirait pas du sucrier comme d'un coffre à trésors. Elle avait suffisamment de cachettes partout dans la maison pour ses images de fées et de princesses, ses perles multicolores, ses rubans qu'elle tressait comme des chemins dérobés vers d'autres mondes. Quel plaisir d'en dresser l'inventaire, le soir au lit, quand les fleurs bleues des draps se mettaient à onduler ! Quel plaisir, le lendemain matin, de constater que rien n'avait bougé dans les coulisses de son théâtre de poche ! Pourquoi y renoncer ? La lueur dans l'esprit de la petite fille sage cessa de trembler. Un décor encore flou apparut, quelques contours se précisèrent. Et. Un cri, aussitôt étouffé. Le coeur de la petite fille s'emballa de nouveau.

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Lorsque la petite fille sage inséra sa clé dans la serrure de la porte d'entrée, la mésange et l'abeille lui offrirent un dernier bruissement d'ailes. Tout était clair maintenant. Rien ne manquait au décor dessiné par la lueur dans ses pensées. Le salon et la cuisine de la maison se trouvant à l'étage, il fallait monter en silence les vingt et une marches de l'escalier. Maman serait totalement surprise. Les surprises sont accueillies à bras ouverts quand elles sont amenées par le silence. La petite fille, précautionneuse, évita le gémissement de la septième marche, le grincement de la douzième, mais oublia que la dix-septième produisait une horrible plainte. Le dragon lui-même, qui s'était pourtant résigné, fit cliqueter les écailles de sa queue. Ses yeux se couvrirent d'éclats de braise.
- Te voilà déjà ? demanda maman.
- Oui, c'est moi.
La petite fille sage reprit courage. Aucun effet de surprise ne jouerait en sa faveur mais la voix de maman était claire. Elle avait sans doute passé une bonne journée, dans le calme et l'ordre. La voisine qui donnait des leçons de musique était peut-être venue l'après-midi, pour boire un café et grignoter des gâteaux secs. Elles avaient bavardé, oh, une vingtaine de minutes, assises le dos bien droit à la table de la cuisine. Et, un mot en appelant un autre, elles s'étaient rendu compte qu'elles lisaient la même revue, avaient souri en se remémorant les sottises de telle ou telle vedette de cinéma, tous ces gens-là, d'un autre monde !
- Tiens, maman ! C'est pour toi.
Maman, calme encore, souriante encore, prête à remercier, à embrasser même, tenait le sucrier, le regardait, soulevait le couvercle. Ah ! c'est gentil, vraiment gentil. Puis. Le dragon dans son ovale galonné d'or. Maman pinça les lèvres. Un dragon sur un sucrier, cela s'était-il déjà vu ? Que signifiaient ces yeux ardents ? ces écailles dressées comme des poignards ? 

                                                    6

Et la mère soudain se souvint. Ses lèvres durcirent. Son menton, son front durcirent. Elle regarda la petite fille sage qui se tenait bien droite comme elle le lui avait appris. Et c'étaient des braises aussi, qui exprimaient du ressentiment, trahissaient une soif de vengeance. L'irréparable devait se payer au prix fort. Le monde sinon courrait à sa perte. 
La mère jeta le sucrier qui éclata sur le carrelage et lança à sa fille :
- Ramasse !
Puis, le dos bien droit, sans un mot sans un cri, elle quitta la pièce.

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Vingt ans plus tard, la petite fille a grandi comme toutes les petites filles grandissent. Elle oublie souvent d'être sage, ne craint pas de rire aux éclats, de s'étourdir dans des fêtes jusqu'à l'aube. Elle vient d'avoir à son tour une petite fille. Une abeille parfois, ou un oiseau aperçu par la fenêtre, lui rappelle la fin fatale du sucrier. Et elle jure que jamais, au grand jamais, elle ne se comportera comme sa mère. Les enfants, c'est plus important que les vases.

(conte hyper classique. Ecrit d'après une histoire vraie.)
image gien.com



lundi 6 novembre 2017

Christophe Sanchez, Sept variations sur le même thème

Résultat de recherche d'images pour "christophe sanchez poète"Dans Sept variations sur le même thème de Christophe Sanchez, la philosophie morale s'invite à la table du poème pour dire l'amour qui ne va ni de soi ni de l'autre, entre anges et démons. Le ciel comme le temps oeuvrent à l'aune du mensonge où "sourd la violence". L'orgueil est là aussi, qui envenime la blessure au creux du ventre. "La boue et l'impur sont notre domaine de lutte", écrit Christophe Sanchez. Mauvaise glaise des glaires. Mauvaise graine des peines. Quelle couleur siérait le mieux à l'amour en ses suffocations de corps et d'âme ? "Où va se nicher la beauté lorsqu'elle n'est pas partagée ?"

Les soixante-dix proses poétiques de cet ensemble, entre notations ordinaires et observations morales des faiblesses humaines, disent comment la vie bégaie, hoquette. Le talent de Christophe Sanchez, déjà remarquable dans son précédent livre, (Les rats taupiers), monte ici en puissance. A le lire et le relire, admirant la justesse des sons et des sens dans un phrasé qui ne s'éparpille pas, allant au contraire au plus près du simple, du nu, j'ai plusieurs fois pensé à quelques voix importantes d'aujourd'hui, celle de Jean-Baptiste Pedini notamment. Venu sur le tard à la littérature, Christophe Sanchez n'a pas fini de nous enchanter et nous en sommes heureux.

Extraits :

La table est mise près du chêne. 
Les convives s'étonnent de la peau
qui recouvre nos yeux. Assis dans
l'herbe ils taillent notre écorce au
couteau. On est seuls à voir l'en-
taille saigner. Eux perdent la vue sur
nos paupières closes. Les escarres du
temps ne sont pas pour nous. Sous
l'arbre rien ne peut nous blesser.

*

N'oublie pas la blessure. Le panse-
ment ne cache rien. Dans la plaie
résiste une peur que tu ne peux
soigner. L'onguent du temps ne
soulage rien. La douleur passe à
travers la peau malgré l'oubli des
peines. Elle est têtue, purulence
d'un destin caillé dans notre for
intérieur. Sur nos corps affaiblis, au
matin des sirènes hurlantes lorsque
nous vient l'idée de réformer le
monde, elle se gorge de son propre
pus. La blessure explose aussi résolue
que le regain d'une tumeur - pleine
et ardente, à vicier nos vies.

*

Des encres de Valérie Ghévart, tout en ondoiements enrubannés, accompagnent Sept variations sur le même thème de Christophe Sanchez. Le recueil est disponible aux éditions La Centaurée pour la somme de quatorze euros.

image fut-il.net (blog de l'auteur)

vendredi 3 novembre 2017

L'image d'un bateau sur la mer

Résultat de recherche d'images pour "image bateau sur la mer"L'image d'un bateau sur la mer. Sa découpe aura déposé le bleu qui a pâli. L'image d'un cheval dans la montagne au bord d’un ravin : une pierre pourrait la défaire. Ces deux images disjointes et rassemblées  dans ce que j'inventais des paysages avec la tourbe tremblante des berges sous mes pas. Une vieille sorcière, berceuse aux dents vertes, parfois me guettait, que j'aurais pu séduire comme on séduit les mirages. Rester dans la place du silence, avec l’indécision du bleu et la prégnance du vert, les genoux serrés sur le manque, le souffle à peine ouvert. Je suis pour toujours le petit aux gestes ancrés si mal aux gestes.
Des mots passent au large avec les oiseaux et les chats, dans la lumière lente des allées.
Ont-ils des lèvres que je saurais saisir ? Ce pays que j'ai dû prendre  dans ce qui m'a toujours manqué. Impuissance des gestes moignons. Voix de rouille édentée.  Ce pays dont l'horizon est toujours en fuite,  les oiseaux mêmes s'en détournent et aucune langue pour le retenir. Les mots sont des corps avec leur souffle et leur sang, leur bile noire. On ne peut pas les entendre dans la marche sous l'humus qui perle. On demande au poème la permission du chant, sa mélancolie d'oiseau. On attend que la fatigue ouvre ses portes. Disparaître dans le mouvement des pas.  L'oiseau comme le brin d'herbe abolissent toute durée.  L'horizon se confond avec ma peau.
Le poème n'a pas de lieu sûr quand ma silhouette se perd.
J'en recompose à tâtons l'illusion pour marcher encore, écrire encore, dans la même langue des repentirs. Je me souviens des chevaux debout la nuit, leurs paupières lourdes ouvertes au silence de la lune qui allait tomber. La paille qu’on avait changée murmurait à l’entour des sabots. Une mouche agonisait dans une toile et les solives en étaient à la peine. Des frissons couraient sur ma peau, écarquillaient mes yeux.

Mes mots ne savaient pas désigner les mystères, ne fécondaient rien de mes solitudes. Je n'imaginais pas l'envol des chevaux ; je manquais aussi de fatigue. 

image pirates-corsaires.com

lundi 30 octobre 2017

La vieille dame qui chante avec les fleurs, 2

Résultat de recherche d'images pour "terre adélie"   Les mots me manquent pour faire le portrait de Haruki Ogawa. Le vocabulaire habituel s’efface aussitôt qu’il est dit. Je demande aux lecteurs, s’il s’en trouve de mon espèce ou d’une autre, indulgence et bienveillance. Haruki Ogawa n’est conforme à aucune définition communément admise par les faiseurs de définitions. Mettons qu’il soit de taille moyenne même si j’ai l’impression qu’il s’allonge parfois de dix centimètres ou, au contraire, rétrécit d’autant. Mettons qu’il ait les cheveux bruns, très bruns, normal pour un Japonais, même si leur couleur vire comme si elle ne tenait pas, selon la lumière changeante, au bleu ou au violet en passant toutes les gammes du mauve. Cette impossibilité à saisir son visage confère à Haruki Ogawa une étrangeté que ne renierait pas la romancière du même nom. Nous nous sommes rencontrés dans une brasserie traditionnelle, il en existe encore, avec des serveurs humains stylés à l’ancienne, et j’ai constaté que le décor échappait à toute persistance rétinienne. La matière du mobilier notamment, me paraissait instable, tantôt très dense tantôt très poreuse. Allait-elle se désagréger alors que je m’efforçais de suivre ce que me disait Haruki ? Ma mémoire, pourtant augmentée, réussirait-elle à organiser l’essentiel et l’accessoire de son propos ? Aujourd’hui encore, je ne peux être sûr de rien et j’en éprouve une sourde inquiétude.

   Haruki Ogawa, nonobstant son inclinaison au silence, m’a longuement parlé de ses voyages en terre Adélie. Avant de sentir les hommes, il faut sentir les paysages. On ne peut rien faire sans ce préalable. Cela demande du temps. De la lenteur. Pendant les deux mois de mon premier séjour, j’ai beaucoup marché. Comme Kant et Schopenhauer. Vous les avez lus peut-être, dans votre ancienne vie. Non ? Qu’importe ! Marcher donc. J’insiste. Les paysages de la terre Adélie sont plus variés qu’on croit. Il n’y a pas que des arpents de neige et des cailloux. Mais vous allez me dire que ce n’est pas le sujet. Je comprends. Les reconfigurés, vous permettez que je vous appelle reconfiguré, sont rationnels. Moi, pas tellement. C’est parce que je suis japonais. Encore un paradoxe. Le Japon est l’un des pays les plus touchés par les mutations technoscientifiques et pourtant assez peu rationnel. La terre Adélie n’est pas vraiment rationnelle non plus, malgré ses laboratoires de recherche. La preuve, on y a construit la prison internationale en dépit du bon sens. Je l’ai visitée plusieurs fois. Son directeur m’a paru mélancolique. Trop de blanc à l’intérieur et à l’extérieur. Il aurait fallu du jaune. Bouton d’or ou tournesol. Il aurait fallu des équipements moins minimalistes, en bois plutôt qu’en acier, avec des veines bien prononcées. Les détenus ont du mal à s’y faire. Ils se promènent librement dans la prison, accèdent librement au parc artificiel mais ils sont souvent prostrés. Assis des heures sur des bancs, les doigts crispés sur le ventre pour en protéger les viscères attaqués par des rapaces imaginaires. Certains refusent même de sortir de leur cellule. Quelques-uns ont préféré se suicider. Les exopsychiatres pensent que des erreurs de zonage se sont produites quand les neurochirurgiens ont opéré les cerveaux des prisonniers. Ils craignent de ne pas maîtriser la situation si la violence se déchaîne. Il y a là-bas des criminels absolus, dit le directeur. Des monstres qui feraient passer Jack l’Eventreur pour l’agneau le plus doux de la création.

image terreadelie.sblanc.com

mercredi 25 octobre 2017

La vieille dame qui chante avec les fleurs, 1

Résultat de recherche d'images pour "voiture du futur"(Cet extrait appartient à un ensemble romanesque écrit par deux narrateurs : un personnage humain reconfiguré et un cobot littéraire. Un cobot est un robot décisionnel et empathique doté d'une intelligence artificielle de la dernière génération. Le passage que vous vous apprêtez à lire est entièrement rédigé par ledit cobot en étroite collaboration (d'où le terme cobot)  avec le personnage humain reconfiguré qui se nomme Bor après s'être appelé Jacques jusqu'à l'âge de soixante ans. D'une façon ou d'une autre, ce roman paraîtra au plus tard en 2020, après remaniements et retouches bien sûr.)

   Un accident a soudain immobilisé la circulation. La voiture a pris le relais de notre conversation sur le Japonais énigmatique*. «  Suite à un accident voyageur humain au premier niveau kilomètre cinquante-huit, le trafic est interrompu sur l’ensemble du réseau périphérique. La brigade d’intervention routière et les services de la voirie présentent leurs excuses à tous les usagers. Notre compagnie n’est pas encore en mesure d’évaluer le retard dû à cet aléa. En partenariat avec le multiplexe municipal, elle vous propose de visionner gratuitement et sans inserts subliminaux de publicités un tridoc sur le chant des pluviers d’Amazonie ou le brame du dernier cerf de Tromso. » Bor a choisi le chant des pluviers et l’habitacle de la voiture s’est transformé en forêt vierge. Des fumerolles gris bleu montaient d’un humus aux craquelures dorées et frisotaient. Une source gazouillait comme gazouillaient les sources au début de la création, dans la pureté des premiers sons. Une libellule longue de dix centimètres a traversé le décor en plongeant si profondément ses yeux dans les nôtres que Bor a eu un mouvement de recul. Puis un couple de pluviers s’est posé sur une liane. Après quelques trilles enjoués, le mâle a fait une révérence de théâtre assez comique et s’est lancé dans un exposé sur son espèce à lui de pluviers car il en est des dizaines à travers le monde. « On nous appelle pluviers d’Amazonie mais à l’origine nous sommes des pluviers de Sainte-Hélène. Sainte-Hélène est une île de l’océan Atlantique célèbre pour avoir accueilli en exil un empereur français au temps jadis. Dans les années deux mille dix, des promoteurs ont transformé l’île en station touristique et, de construction d’immeuble en construction d’immeuble, de parc à thème en parc à thème sur les dictateurs les plus célèbres de l’Histoire, le béton a gagné tellement de terrain qu’il ne restait plus un seul arbre pour nous les pluviers. Alors nous nous sommes réfugiés en Amazonie. Nos conditions de vie ne sont pas idéales mais notre espèce n'est plus en voie de disparition. La fondation Warren Buffet, le fonds des Scottish widows et la Ligue Internationale Des Oiseaux (L.I.D.O.) investissent chaque année cent mille néodolls pour assurer notre protection sans menacer nos capacités d’autonomie. Par exemple, nous couvrons nous-mêmes la totalité de nos besoins alimentaires. La gestion raisonnée de nos ressources environnementales a réduit de cinq pour cent le taux de notre mortalité prématurée. Enfin, notre présence en Amazonie génère des produits touristiques non négligeables pour l’économie vivrière locale avec une réduction de un pour cent de la très grande pauvreté parmi les indigènes. Un millième des bénéfices est également reversé à la société d’ornithologie de notre secteur. Laquelle peut ainsi équiper ses bénévoles de bonnes chaussures de marche et de répulsifs anti-tarentules efficaces. Si vous êtes sensible à la cause des pluviers, cette voiture dotée de la nouvelle technologie 4D vous fournira à prix coûtant un oiseau merveilleusement répliqué avec traducteur automatique de chant dans la langue de votre choix. Ayant trop abusé de votre patience, mais j’apprends à l’instant que la circulation restera paralysée sur les cinq niveaux du boulevard jusqu’à une heure avancée, je passe la parole à ma compagne qui va vous interpréter les arias les plus emblématiques de notre patrimoine. »

(Le Japonais énigmatique ci-dessus évoqué s'appelle Haruki Ogawa. Philosophe spécialisé dans les neurosciences, il mène une enquête dangereuse dans la prison internationale de la Terre Adélie et la terminera sur les hauteurs de Pisco Elqui au Chili...)

image charlotteauvolant.unblog.fr

mardi 24 octobre 2017

Ce qui reste

Résultat de recherche d'images pour "restes"Ce qui reste sur le sable
De la dépouille des pas
Ce qui reste dans l'écho
De la mémoire du cri
Ou du bois et de la pierre
Qu'on garde pour tenir
Dans la lenteur des jours
Litanie des matières
Au corps à corps
Avec le suint des ombres
Où la vie et  la mort se travaillent
Le grain des mots l'atteint si mal
La lumière qu'on voudrait saisir
Est plus farouche que l'oiseau
Le poème  ne rassemble rien
Des restes épars
Qui diraient l'en allé
Les gestes perdus
Les regards simples
Les joies qu'on n'a pas su prendre
A la table du peu
Où l'invisible pourtant se présentait
La peau se tasse sur ses plis
Le sang tourne à l'aigre des regrets
La langue même est un déchet
*
A la table des restes
Dans la poix du silence
Quand tout a été dit de l'impuissance
Le regard n'invente plus rien
Il faudrait s'ouvrir à l'oubli
De la peau et du sang
Dormir enfin tout ce qu'on n'a pas dormi
Mais on tient comme une bête
Dans l'effroi du sillage
On est soi-même un reste
*
L'ennui prend la mesure
Des traces livrées au regard
Petits passages du vivant
Dans sa durée fragile
Os et cendres pétris
Avec les humeurs des corps
Quand ils n'ont plus de visage
Repentirs de copeaux
Sur l'impossible chantier des jours
La pensée aussi dégorge de la sciure
Avorte le poème
*
On n'aura rien nommé
Des mystères qui traversent
L'épanchement des corps
Rien apprivoisé des gestes
Nécessaires au chemin
On n'aura  connu que la marche des bêtes
Langue coupée

Toute trace déjà recouverte

(Ces texticules ont été publiés dans la revue numérique Ce qui reste du temps où elle m'était ouverte grâce à Vincent Motard-Avargues. Je vous les livre sans retouches.)