dimanche 22 octobre 2017

La nécessité de l'effacement

Résultat de recherche d'images pour "sable"La nécessité de l'effacement. Devant le poème et dans lui. Il ne peut sinon prendre sa place. L'occuper. Il en va de même pour la vie ordinaire. On essaie d'effacer tout ce qui pourrait l'empêcher de traverser. Mais de quoi est fait ce tout ? Quelle table des matières saurait en nommer les éléments ?
*
On retrouve en écrivant le souvenir d'un séjour au pied d'une montagne. Quelques maisons de bois autour d'un étang. Quelques griffures d'herbes hautes où le vent coupait les chants d'oiseaux. Le bord d'une forêt gommé par les brumes. On avait à peine la sensation du paysage. On ne faisait pas de métaphores pour désigner le haut et le bas.

*
L'ignorance, toujours. Nichée dans la fatigue des gestes.
*
On se retrouve devant les livres contre le mur. Des ombres glissent. Des murmures traversent l'espace aboli. Une toux venue de la chambre bat le rappel du corps. Sa présence à déplier avec ce qui reste de mémoire. Quand l'autre souffre entre les draps.
On ne sait pas encore la fièvre qu'on mettra à l'écrire.
*
On se détourne lentement des anciennes dilections littéraires. On répudie les tapages surréalistes. On ne cherche plus sous les jupes du manifeste électrique. Aller au plus près. Au plus juste. Au plus nu.
Avec des mots pauvres.

*
L'âge vient où on se met à relire. Celui qui a choisi d'être relu.
*
La fatigue d'être l'autre commence à poindre sous les mots. On ne peut rien contre le partage de la douleur. On se tient en défaut avec des gestes qui viennent mal. La poésie non plus ne sait pas où se mettre.
Elle attend.
Mais quoi ?
*
La vie, parfois, va un peu moins comme elle va. D'anciennes langueurs, qui s'étaient tues, brouillent les signes des enfances. On ne retrouve plus les lieux sûrs du chemin. L'horizon même pèse sur les pas. Pour un peu, on renoncerait à écrire.

*

mardi 17 octobre 2017

Un enfant passe sur l'autre trottoir

Résultat de recherche d'images pour "dominique boudou"Longtemps tu t'en souviens
Tu n'as pas reconnu mes pas
Dans la ville
Tu ne comprenais pas cet épuisement
Que je voulais t'offrir
Pour que la douleur parle

*

Parfois lever la tête hors de la marche
Une distraction fugitive
Aperçue dans le ciel
Quoi au juste qui pourrait me retenir
Mon chemin est en bas
Avec toi
A gémir sous nos semelles
Lui qui ne ment pas

*

Un enfant passe sur l'autre trottoir
Je ne croise pas dans ses yeux
Le marcheur que je m'applique à être
Il va quelque part
Si vite

*

Suis-je cet arpenteur
Dont les pas voudraient capturer l'infini
A quelles démesures mon corps s'oublie
Notre vie a si peu tenu
A l'aune du hasard

*

Renoncer au quatrième mille
Se laisser aller à l'heure
Qui tarde à fuir
Derrière la vitre d'un café
Ecouter vibrer des paroles qui ont été les nôtres
Mais reconnaître quoi vraiment
Dans l'immobilité
De l'air

*

Continuer donc
Tout au long de la marche
A poursuivre l'invisible
Une lumière évanouie
Aussitôt qu'on l'attrape
Un silence demeuré en nous depuis trop longtemps
Mort qui sait
De s'être tu

*

Apercevoir encore
Le marcheur que l'on a reconnu
Car on ne s'est pas trompé
C'est bien le même homme qui marche
Comparer l'allonge des bras
Pendus aux corps
Après toutes ces heures vides
Se dire qu'on est plus léger dans notre souffrance
Se prendre pour un papillon


(Toujours ce recueil inédit de 1997. Un jour, si je terrasse la lassitude, je le proposerai peut-être, après reprises et retouches bien sûr. Car certains mots ne sont plus dans leur exacte justesse. Ils ont glissé.)

(photo du blog paradis bancal de Brigitte Giraud)




dimanche 15 octobre 2017

Paolo Cognetti, Les huit montagnes

Résultat de recherche d'images pour "les huit montagnes stock"En ce siècle qui malmène si durement l'humain, il est bon de lire des livres qui soignent. Les huit montagnes de Paolo Cognetti en est un.
Grand lecteur des aventures des aventures de Mark Twain et Jack London, le jeune citadin Pietro découvre l'univers de la montagne avec son père, homme taiseux et habité par une sourde colère. L'apprentissage est rude, dangereux même quand il porte sur le dépassement de soi dans l'effort. Ce n'est que tout en haut du sommet que vient la récompense : la beauté des paysages, les quelques mots échangés avec d'autres montagnards dans les refuges, la présence enfin plus accessible du père qui, le but atteint, s'accorde quelques minutes de méditation.
Dans le même temps, Pietro rencontre au village un garçon de son âge, Bruno. Gardien de vaches claquemuré dans une haute solitude et peu assidu à l'école, Bruno invite Pietro à une initiation plus traversière de la montagne. Une amitié naît, timidement d'abord, puis s'affermit. Elle résistera au temps et triomphera de lui.
Une vingtaine d'années plus tard, Pietro devenu documentariste filme la vie des hommes sur les hauteurs mystérieuses et mystiques de l'Himalaya. A la mort de son père, le lecteur en mesurera l'insoutenable absurdité, il apprend qu'il lui a légué un arpent de la montagne de son enfance avec une bâtisse au bord de la ruine. Le message lui semble clair : reconstruire, façonner le réel à la seule énergie de la volonté, à la seule force de la sueur.
Pietro retrouve Bruno qui a repris la ferme sur le déclin de son oncle. Ensemble, ils redressent les murs qui s'écroulent. Ils abattent les arbres qu'ils changeront en poutres pour la toiture. Une toiture solide contre les neiges et les glaces. Une toiture sur laquelle les années glisseront sans outrage.
Les deux amis se livrent enfin, autour de la frugalité du pain et du vin quand l'ouvrage de la journée est achevé. Un autre visage du père disparu apparaît. Une autre complexité se tisse lentement...
Ce premier roman, en cours de traduction dans une trentaine de pays, nous offre par ses motifs allégoriques, une vision à retrouver de l'universel humain. Malgré le dépeçage de l'espèce soumise aux appétits de la modernité, et le lecteur en appréciera la méticulosité sur la dépouille d'un chamois érigé en métaphore..., il existe des permanences, des invariances qui n'abdiquent rien : l'amitié inaliénable malgré les malentendus, la transmission de valeurs par la filiation, les vertus de l'engagement au service d'autrui par l'exemple de la mère, les beautés et les puissances supérieures de la nature.
C'est en ce sens que ce roman de facture classique, écrit dans une langue accessible à tous, est un livre qui soigne. L'espoir luit encore et ce n'est pas qu'un brin de paille au fond d'une étable.
Les huit montagnes de Paolo Cognetti est publié aux éditions Stock dans la prestigieuse collection La cosmopolite. Une bonne idée de cadeau pour les fêtes de Noël.

mardi 10 octobre 2017

Grand-mère aux dents vertes

                                   I

Résultat de recherche d'images pour "sorcière de goya"Le temps est derrière moi
Grand-mère aux dents vertes
Qui chantait sa complainte aux bords du sommeil
Je presse le pas
Sous l’aiguillon des souvenirs
Qui tiennent encore contre la brume
Je sens sur ma nuque
Le souffle des enfances inventées
Une horloge pourrait sonner là dans la marche
Une maison naîtrait aussi
Avec un père et une mère
Accordés au pain du jour
Un volet battrait la mesure
D’une attente sans nom
Mais comment me retourner
Sur ce qui n’a pas de visage

                                   II

Le temps perd en moi
Le grain des instants
Mon chemin ne trouve plus son chemin
Je regarde la ville suspendue à mes paupières
Avant la sirène de midi
Des lumières improbables
Y jettent des signes mouillés
Ils n’ont pas de rumeur sous mes semelles
Quand la marche s’évanouit
Dans la fatigue
Je cherche à saisir les minutes
Qui vont avec le sang
Qu’elles portent encore un peu
Ce qui me reste de conscience
Il faudrait courir et abolir la chute
Devenir vol d’oiseau ou de papillon
Mordre à pleines dents
Un bout d’éternité

                                   III

Le temps est devant moi
Dans un corps qui n’a plus ses lieux sûrs
Ligne sans replis où étouffer l’attente
Le sang à découvert du sang
Et battre une vaine mesure
Qui invente encore mon chemin
J’entends que me reviennent
Les chansons vertes de l’enfance
Et le tintement sombre des pendules
Dans la fièvre endormie
Ma peau prend le vieux grain
Des vieilles heures
Toute une mémoire à porter debout

Jusqu'au silence

(Je retrouve ça par hasard ; il y aurait à bricoler un peu pour parvenir au plus juste. Mais bon. Trop tard.)
tableau de Goya (y lucientes)

lundi 9 octobre 2017

On oublie que nos pas sont nos pas

Résultat de recherche d'images pour "chemins de traverse"On oublie que nos pas sont nos pas dans le mystère qui nous foudroie déjà. On n’ira guère plus loin. Il est temps. Mes mots ne sont pas des lieux sûrs pour assembler les paysages qui échappent au grain de ma langue. Ma mémoire a perdu l’établi de l’enfance où je fourbissais les brumes et les berges, la lumière des coteaux et la suffocation des mantes. L’effroi dans le creux de ma gorge, les gestes muets. Comment se fondre dans le silence du chemin qui reste ? Mon regard comme mes mains s’épuisent à l’ébauche de l’horizon.
Les oiseaux vont trop bas sous les plis de la lumière.
Les herbes couchées abandonnent leurs signes dans les remugles de la terre. Je suis un goitre. « Plus grande est la solitude au passage des grands oiseaux ». Leurs cris mêmes agrandissent le ciel, rapetissent la sente où le corps s’étire et le silence tombe sur mes épaules, immobile. Je ne peux rien saisir des ombres entre mes pas. Mon sang a pris le goût du fer dans ma bouche. Il est trop tard ; les draps de la nuit claquent déjà. Garder le souvenir d’un visage penché sur la glaise, sa bouche fermée aux remugles. Le soc luit sombre dans le sillon retourné.
Des courtilières pourraient bondir à l’assaut des corbeaux tapis.
Le soleil de novembre s’effondrerait sans qu’on s’en étonne sous le ciel bas. Les lisières des taillis ne tiendraient plus en joue les lignes des labours. On ne reconnaitrait plus l’étourneau désemparé, la musaraigne blottie dans les guérets. J’ai toujours dix ans. Un froid me fait trembler. Mais comment savoir ce qui en soi prendra la mesure de l’instant ? On n’a pas inventé assez de souvenirs. La lumière est trop tendue. Le ciel s’ouvrira-t-il ? Poser la question aux travers du chemin.
Attendre un frisson sous la peau qui jetterait des traits.
Chercher le regard des bêtes blanches, toutes ces présences pour augurer la trace déjà plus là. Une éternité minuscule. « On croyait habiter ces chambres ce sont elles qui se sont déposées en nous. » On retrouve partout leurs fenêtres, les lignes entre les lés fleuris, deux ou trois taches comme des géographies qu’on n’a jamais su nommer. On se souvient des rumeurs avant le sommeil. Le son lointain de la rouille plantée dans la terre alors qu’un rire monte l’escalier. Et une main le retient contre les lèvres. Personne ne doit rien savoir des plaisirs qui s’apprêtent. Le poème viendra-t-il parmi ce flou, si les contours du corps sont aussi brouillés de toute mémoire ? Une musique au coin du monde, on l’entend tout au bout de la fatigue dans l’énigme du corps défait.
Où aller encore si le chemin n’est plus qu’un trait qu’on ne sait pas finir ?
Il faudrait se dissoudre là, avec les notes blessées qui montent des fondrières dans les remuements faibles de l’air. S’accorder au murmure de l’eau parmi les hautes herbes, devenir une idée nue ouverte comme une main. Pour sauver. Il n’y a plus de tumulte. Les ombres gisent à l’entour des jardins. L’eau a perdu les traces des bêtes blanches. Un volet battant dans le vide éloignerait de mes pas les feulements du vent. L’ornière étouffe un sanglot quand je déglutis du noir. « Un homme seul regarde passer un garçon qui chancelle ». Je ne me suffis pas de son vertige dans les flaques, des ombres battues en ses clins. Il me faudrait prendre aussi la douleur qu'il ignore encore, loin des pères et des mères aux moignons qui suppurent.

Mais comment nous inventer ensemble avant la chute ? 

image chambresnoires.fr

mardi 3 octobre 2017

La marche abolit le paysage

Résultat de recherche d'images pour "traces de pas images"La marche abolit le paysage aussitôt qu’il est vu. « Chaque pas visible est un monde perdu. » Le chemin n’a plus de franges où se tenait la langue avant le franchissement. Mais comment inventer d’autres pas qui remettraient le monde au jour, si la fatigue m’efface, si l’invisible emporte mes restes ? La sensation de la terre passe au large du corps. Les yeux à tâtons éprouvent l’épuisement de la langue. On échoue à désigner ce qui manque de nom. L’infini résonne si mal par-delà les murs qu’on a dressés.
Le ciel s’est perdu depuis nos enfances.
Comment savoir si ce n’est pas lui sous nos semelles ? Comment retrouver sa mémoire ? Rien ne bouge au fond des combes et dans les frondaisons. La menace attend son heure. Le ciel a blanchi comme un couteau, l’air aiguisera bientôt ses griffes. Je cherche une issue à mes dix ans : des mots qui pourraient me pousser hors de la chute, un appel surgi d’anciennes mémoires, quand rien encore en moi n’avait vu le jour. Le silence est plein de solitude ; la lumière aura tout sali avant le soir.
On ne comprend pas le froid qui monte dans le sang, on se détourne du ciel fermé. Il faudrait échancrer l’horizon qui étouffe l’envol des oiseaux, inventer des traverses, des plis où disparaître. Une ombre titube le long d’un mur. Elle marmotte la bile incolore des égarés. Ses gestes sont des serpes dans le contre-jour.  Un dernier chagrin peut-être la fera tomber, qui n’aura plus de nom. Un chien s’ébroue et fait trembler les remugles des bouches. On restera ligoté quoi qu’on fasse.
On manque de mots pour dire ce qui suffoque.
La durée a tout effacé des gestes qui tenaient mon corps. Les lignes ont brouillé les traverses du ciel et de la terre. Je ne vois plus les abords du chemin où les toits se sont couchés. Je marche avec le mot marcher qui chuinte. Il n’est d’aucun commencement, d’aucune fin. Dans quelle langue m’appartient-il, à jamais étrangère ? On ne sait jamais au-delà du chemin. La fatigue a pris les derniers restes qui pensaient encore en nous. Les mots mêmes n’ont plus d’établi où me rassembler. La mue du sable sur ma peau ne tardera pas. Le grand sommeil vient déjà avec ses blancheurs nues, ses murmures d’horizon lent, son rien immobile.
La lumière réfléchit le mauvais suint des flaques où macèrent les restes du jour.
Une voix égrène derrière une porte basse les secrets du sang qui a tourné.  Une faute a été commise, qu’on ne pourra pas réparer. Elle a souillé tout le blanc de l’émail au fond de la cuvette : elle accuse la chair trop faible des mères. Mon corps se tasse sous les heures ; rien ne viendra le déplier. Un oiseau peut-être pourrait, avec un bout de ciel dans les yeux ou les ramures du jardin après la pluie. Et je saurais enfin attendre la venue du silence. Bien après les enfances, quand la brume ligote les gestes au point du jour, quand la langue est trop sèche aux échos de la terre, le puits n’a plus de bouche. Les prés ont noyé tous les cris.
La lune, je voudrais la tuer !
Mon corps est né dans l’absence. Ni geste ni langue n’ont aveuglé en lui le grand secret des solitudes. Je marche à sa rencontre nue, sans le parapet des ombres fausses à l’entour du regard. Je sais comment me dépouiller avec la foudre du silence.
Les mots comme les pas en retard du corps ne tiennent rien debout.
Terre et ciel tremblent dans le vertige des mémoires qu’on ne sait plus reconnaître. Il y a des chancres écarquillés dans les fondrières invisibles sur ma peau. Du suint dans mes humeurs défaites. On ne s’est pas encore apprivoisé. On cherche l’absence au cœur des vieilles traces, une lueur sombre sur les lignes passées. Le chemin en moi s’immobilise. Des ombres vont dans ses biais comme de pauvres sortilèges incapables d’envoûter les silences. Il faudrait opérer en soi les larmes et les cris, les souvenirs dont on n’a pas voulu du père et de la mère.
Mais comment soulever la peau qui pèse sur la peau ?
D’autres regards naissent dans le regard, abreuvés à d’autres paysages. On croit deviner les hauts murs venus des enfances qu’on a rêvées. On invente des signes insaisissables pour dire l’oiseau qui soutient l’horizon, la fenêtre borgne d’où monte un soupir de quand on avait dix ans.

On reste comme une ligne coupée. 

(Ce travail est une compression-expansion que je fais à la demande d'une éditrice mais ni elle ni moi ne savons ce qui adviendra de ça.)

lundi 2 octobre 2017

La vieille

Résultat de recherche d'images pour "paysannes d'autrefois"La vieille. Elle allait sur ses quatre-vingt-douze ans.  Droite comme un i majuscule et pas une plainte. Debout tous les jours de sa vie à six heures. L’ouvrage à la ferme n’attend pas. Qu’il gèle ou qu’il vente, les bêtes, il faut les nourrir, les engraisser, les tuer, les cuisiner. Les blés, il faut les semer, les moissonner, les battre, les monter au grenier. Les blés et les betteraves. Les betteraves et le maïs. Les monjettes et les patates. Le fourrage à garder au sec au-dessus du hangar, à côté des bottes de paille. Un peu de vigne aussi, pour le vin et la piquette. Faut bien avoir ses plaisirs quand on travaille dur.
Sans compter tout ce qu’il y a dans la maison à tenir propre. On a sa fierté quand quelqu'un vient. On n'est pas des souillons. Qu'est-ce que les gens diraient au bourg s'il y avait des taches de gras sur la cuisinière ? Quant aux cendres de la cheminée, elle les pelletait déjà quand elle avait huit ans. Avant d'aller à l'école à trois kilomètres et qu'il y avait tout un bois à traverser, en sabots avec du foin dedans de décembre à février.
Pas le temps de regarder le temps passer. Oh ! non alors. Y penser serait déjà coupable. La fainéantise, c’est pour les riches. Si tu crains ta peine, tu crèveras de faim.
Elle me disait ça en s’essuyant les mains à son devanteau. C’étaient là des sentences apprises à l’autre école, celle du curé. Elle les révisait tous les dimanches, qu’il gèle ou qu’il vente, en hochant la tête comme un jouet mécanique, et elle mettait sa bonne robe, son bon foulard, ses richelieux.
La vieille. Mon enfance a grandi à ses côtés. Dans un autre temps que le sien. Dans une autre langue que la sienne. Moins dure. Poreuse aux lumières filandreuses de mars, aux éclats métalliques de juillet quand le paysage pliait l’échine sous le soleil. Sensible aux eaux bucoliques aiguisées contre les pierres, aux heures égrainées à la comtoise et des ombres passaient d'un poids à l'autre, insaisissables.
Je badais. Encore un de ses mots, à la vieille : T’es toujours en train de bader.

Maintenant, c’est elle qui bade au fond du trou. Elle regarde les poussières que le bon Dieu mouline. Elle n’a pas besoin de pelle, pour les ramasser.

(Texte hyper classique. Le lecteur en son infinie bienveillance saura ne pas m'en tenir grief. Il a été publié par une revue et je l'ai allongé.)

jeudi 28 septembre 2017

Mettre ses pas dans les autres pas

Cliquer pour agrandir cette image !
Marcher
Ne rien faire d'autre que ça
Mettre ses pas dans les autres pas
Comme les gouttes de pluie
Se mettent dans les autres gouttes de pluie
S'appliquer à cette marche
Dans le vacarme des heures
Dans le tremblement pressé des yeux morts
Puiser au fond de soi
Ce qui reste de silence

*

Atteindre le passage invisible
Du premier mille
Où luit pourtant l'incertitude du trottoir
Poursuivre encore le mirage de la marche
Jusqu'à saigner notre douleur
Qui ne parlait plus

*

Je marche et je marche encore
Je m'efface dans la lenteur de mes pas
Là est mon salut
Dans l'horizon qui fuit la ville
Cadencé par des foulées trop lourdes certes
Mais quoi
Les semelles de vent ne sont que
Du vent

*

Parfois
Comme une brillance sur le chemin
Le petit bonheur d'une traverse
Un champ posé là au creux du tumulte
Quelques ivraies solitaires et battues
Où souffle une mémoire qui ne dit rien
La nôtre qui sait
Tout entière dans mes pas

*

Chercher
Quoiqu'on s'en défende
Un fil ténu dans la marche
Qui nous tiendra debout
Le plus loin

*

Je ne sais pas si j'éprouve l'ivresse
Du deuxième mille
Quelles heures ont sombré déjà
Dans l'inanité des choses vues
Où puis-je aller encore
Où tu ne serais pas

*

Ici ou là
Au détour de la marche
Quand le corps devient cette mécanique
Où se rôde la fatigue
L'esprit d'un caillou perdu
Soudain m'accable de sa légèreté
Mais comment dès lors
Rebrousser le chemin
Un caillou ne vient jamais seul

*

C'est pour toi que je marche
Et tes pas sont dans les miens
Portés par l'illusion d'une géographie
Qui nous aurait appartenu
Dans cette ville trop basse
Pour nos ailes d'oiseaux
Le souvenir d'un mot
A l'angle d'une rue d'autrefois
Mais était-ce bien ce mot-là que nous avions dit
Le souvenir d'une caresse retenue
A l'ombre d'une vitrine
Mais comment garder la mémoire
De nos gestes

*

Reconnaître parfois
Dans la foule grondante
Un autre marcheur
Une autre solitude dans la solitude
Le désespoir toujours
Qui pousse à l'oubli
Dans le bruit des heures

*

Et le voilà franchi
Le troisième mille
De notre marche
Je n'ai plus que des jambes dans les jambes
Mon corps s'est réduit
Au balancement des pas
Il ne peut plus tomber

*

Tu me dis d'entrer dans ce jardin
Où chatoient des cercles fugaces
A la surface de l'eau
Tu me proposes la rumeur des arbres
Le silence désigné
Des cygnes trop lourds
Mais que ferions-nous de notre mémoire

En pareille laideur


Ces textes font partie d'un ensemble qui date de 1997. Je n'y apporte pas les retouches qu'il faudrait. Une chose dite étant une chose morte selon Artaud.

Photo d'Olivier Roubine, juin 2015. Les Salins de Giraud près de Montpellier. N'hésitez pas à visiter le site de l'artiste qui, je l'espère, ne m'en voudra pas de m'être dispensé de son autorisation. J'adresse avec cette image un clin d'oeil à Nathalie Séverin, Louise Imagine, Claire Musiol, Isabelle Bonat-Luciani, Brigitte Giraud, Philippe Castelneau et Christophe Sanchez.

lundi 18 septembre 2017

Le feu

Résultat de recherche d'images pour "crémation"Le feu. Je ne l'ai pas. Né dans un ventre glacé par les fièvres, je ne l'ai jamais eu. Je n'en veux pas non plus. Ma raison s'y oppose depuis toujours. Trop de symboles surexposés. Trop de métaphores mal pétries. Le feu de l'amour tue aussi sûrement que le feu de la guerre puisque, à la fin du compte, on est refroidi. Ce n'est pas que je me détourne des émotions fortes, des sentiments vibrants, voire de certains dérèglements des sens. Mais le feu, malgré ses bienfaits ancillaires,  le chaud et le cuit, me fait fuir comme une bête sauvage aux premières heures de la vie. Les ombres qui hantent sa lumière, fût-elle celle d'un lumignon, sont des serpents. Quand on les aperçoit, il est déjà trop tard. L'effroi crépite dans les yeux. La peau se met à grésiller. Les veines et les artères gonflent avant d'éclater. Des lames découpent les muscles. Comment échapper à l'équarrissage ? Où trouver un souffle assez puissant pour éteindre ce qui étreint ? Dans quelle mémoire ? Dans quelle volonté ? Je n'ai ni l'une ni l'autre. Ma carcasse est vide comme était vide le ventre de ma mère. Finirai-je, en un cauchemar baconien, suspendu à un croc de boucher ? Reluqué par d'autres corps en peine ? Ou bien, enfouis dans la glaise, mes viscères auront-ils à subir de lentes dévorations ? Ma raison encore s'insurge. Mon instinct se rebelle. Une seule solution s'impose. Le feu. Celui-là même dont on s’est tenu éloigné pendant la vie. Effacer tout ce qui a entravé. Dans la chair comme dans l'esprit. Puis disperser les poussières irréductibles. L'air se chargera d'achever le travail de disparition. Retourner avec lui dans l'invisible.

image pompesfunebrestoulouse.com

J'ai écrit ce texte il y a quelques années pour une revue dont c'était la thématique.

jeudi 14 septembre 2017

Coming out

Coming out / Brève ordinaire
Résultat de recherche d'images pour "pénis" Toute sa vie, Albert avait eu des problèmes pour faire l'amour. A quatre-vingts ans, après avoir bu un litre de vin, il se coupa le sexe et le fit cuire. Puis le donna à son chien qui s'en régala.
Coming out / Brève populaire
Toute sa vie, l'Albert avait eu des emmerdes pour s'envoyer en l'air. A 80 balais, après avoir torché une boutanche de rouquin, il se coupa la bite et la fit cuire. Pis la donna à son corniaud qui la bouffa.
Coming out / Brève populaire fleurie
Toute sa vie, ce demi-sel d'Albert s'était fait du tracsir pour son flageolet qui n'avait rien d'une vipère broussailleuse dans ses fringues de coulisse. A 80 bougies soufflées sur une bûche de chez Aldi, après s'être rincé la dalle d'une betterave de beaujolpince, il se coupa le petit chauve à col roulé, le mitonna avec des oignons de derrière les fagots et le jeta à son courtaud de Médor qui s'en fit les boyaux comme des manches de ministre.
Coming out / Brève classique
Pendant toute son existence, sir Albert avait rencontré des difficultés lors de ses accouplements. A quatre-vingts ans, après avoir dégusté un litre de vin de Bordeaux, il se trancha le pénis et le mit à rissoler. Puis il l'offrit à son chien qui s'en gobergea.
Coming out / Brève classique premium
Toute son existence durant, le comte Albert avait eu un parcours amoureux fort difficultueux. Parvenu à l'âge vénérable de quatre-vingts printemps, après avoir succombé à l'envoûtement d'un pomerol du meilleur aloi, il trancha dans le vif son membre viril et l'apprêta sur un brasero en céramique de Saxe hérité du maréchal éponyme. Puis il en fit l'offrande à son lévrier afghan qui le dévora promptement.


Coming out / Brève néo french
Toute sa life, Alberton avait badtripé grave sur l'évaluation de ses love performances. Sénior ayant dépassé la DLC, il vida une boîte de vin red bull achetée dans une winery down town, trancha son sexe pas frendly compatible en mode sushi et le donna au chien qui le mangea ASAP. Un geek lui dit qu'il aurait dû poster un selfie sur fb.
Coming out / Brève à la Perec
Durant tout son sort, Albrt avait connu moult tracas pour son vit trop mou. A dix fois huit ans, un vin bourguignon à l'appui, il coupa dans la chair qui bandait mal puis la cuisit sur un gaz ronflant plus qu'un volcan. Alors, il l'offrit à son cabot gourmand qui l'avala d'un coup.
Coming out / Brève à la Restif
Tout au long de sa destinée, le sieur Albert s'était trouvé fort marri d'être tant et souvent escouillé au point de trousser les grisettes à la hâte comme un fieffé saute-ruisseaux. Rendu à l'âge où le maréchal de Richelieu faisait encore, lui, dûment sa cour dans les bourdeaux, et s'étant vivifié les sangs par quelque vin d'Arbois, il eut le cran de se daguer l'appendice d'un geste prompt. L'ayant fait, il le cuisina au verjus et le donna à son épagneul qui montra force appétence.
Coming out / Brève à la Duras phase terminale
Albert L. avait toujours souffert. De son sexe sans visage. Forcément sans visage. Ne pouvant pas. A 80 ans, il but un vin frais de Tarquinia. S'amputa de son manque. De ce qui avait toujours manqué. D'aussi loin qu'il s'en souvenait il avait toujours eu ce manque. Il le cuisina sur un feu de bois. Dans son jardin face à la mer. Puis le donna au chien blanc qui courait sur le rivage.
Coming out / Brève à la S.M.S

Tjs, Al avai u pb sex. A 80 an, il bu vin, coupa bite, la cuisina, la fila au cleb ki la manja ASAP. 

image affairesdegars.com

(Je me suis amusé à écrire ça pour la revue Métèque et son numéro Coming out. Ces brèves n'ont pas été retenues mais je les trouve rigolotes. Voilà.)