lundi 23 janvier 2017

Pensée positive ? Mon cul !

L'enseigne de la grande distribution Carrefour y est sans doute pour quelque chose : il faut positiver !
Depuis une vingtaine d'années, au fur et à mesure que la modernité ravale l'humain au niveau d'un déchet, (pape François dixit), la pseudo science de la psychologie positive le débite en tranches comme du saucisson :
- pensée positive
- mémoire positive
- émotion positive
- énergie positive
- attitude positive (transformée en positiv' attitioude par Jean-Pierre Raffarin en 2004)

Avec ce corollaire à la mortadelle sur les réseaux sociaux : " Si tu veux être triste vis dans le passé, si tu veux être inquiet vis dans le futur, si tu veux être en paix vis dans le présent."Résultat de recherche d'images pour "rosette de lyon"

Comment ne pas succomber à une ire légitime devant ces sottises, relayées notamment par l'intellectuel de la charcuterie Christophe André ? Comment ne pas voir qu'il s'agit là d'une nouvelle croyance pour duper les ignorants, savamment mitonnée par les hérauts du libéralisme décomplexé ? Afin de mieux les soumettre. Encore et toujours davantage.

Je pense à tous ces sociologues, ces philosophes, ces anthropologues, ces économistes qui s'efforcent, avec l'humilité du vrai savant, d'énoncer et d'élucider le réel. 

Je pense aux enseignants, aux éducateurs, aux médecins, aux animateurs engagés sur le terrain du quotidien là où il saigne et qui refusent, comme les chercheurs, le simplisme et le réductionnisme de la pensée binaire.

Je pense à la consternation qui les mine, au découragement qui les menace.

Comment résister aux forces qui organisent l'ignorance en découpant en morceaux les perceptions de l'humain et du temps ? Quels arguments simples mais pas simplistes leur opposer, sujet après sujet, pour ensuite les rassembler dans la globalité du réel ?

Prenons l'exemple d'un verre aperçu sur une table. Si je suis pessimiste (donc soit-disant négatif), je vois le verre à moitié vide. Si je suis optimiste (donc soit-disant positif), je vois le verre à moitié plein. Voilà une assertion qui ne résiste pas à l'examen. Un verre à moitié vide est dans le même temps de la perception un verre à moitié plein. Qu'un sujet, mis à l'épreuve de ses émotions, de ses sentiments, mobilise sa volonté pour voir le plein plutôt que le vide, tant mieux. Joyeux, il saura savourer une rosette de Lyon en complétant son verre à moitié plein avec du Chambertin. Est-il pour autant optimiste et donc positif ? Bien sûr que non ! Il est seulement, à ce moment précis, un sujet qui désire déguster une rosette de Lyon copieusement arrosée de Chambertin, tout en sachant que c'est mauvais pour la santé. La pensée positive se transforme en pensée négative. Et l'optimisme cache mal le pessimisme de l'individu condamné par ses excès de bouche.Résultat de recherche d'images pour "chambertin grand cru"

Autrement dit, séparer le bon grain de la pensée dite positive de l'ivraie de la pensée dite négative est une escroquerie intellectuelle. Et il en va de même pour le temps en supposant qu'il existe. Le passé et le futur ne sont pas des caissons étanches. Quant au présent, oups, il a déjà filé...

Alors oui. Pensée positive ? Mon cul !

Et vive le saucisson !

Image 1, rosette de Lyon. espritrestauration.fr
Image 2, Chambertin. wine-searcher.com

samedi 21 janvier 2017

Jean-Pierre Nercam dit Nâzim Hikmet

Depuis quelques années, le metteur en scène Jean-Pierre Nercam offre au public des récitals de poésie. Apollinaire, Aragon, Eluard, Nâzim Hikmet... Dire " Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre " à voix nue et faire oublier le chant de Jean Ferrat démontre un talent longuement mûri sur l'établi de l'émotion et de la langue. Jean-Pierre Nercam a une connaissance intime des silences de la poésie. Il a aussi, dans l'offrande, la simplicité des humbles, qui ne triche pas avec la fragilité de l'humain.
Son compagnonnage fraternel avec le musicien Gérard Hello (guitare, oud, saz) exprime dans les regards échangés comme dans le partage des fredonnements les tendres beautés de l'ordinaire. Même si, au détour des suspens ou au coeur du poème, des ombres tragiques nous font frissonner...
Le spectacle donné au théâtre du Cerisier dans le quartier de Bacalan à Bordeaux, sur la vie et l'oeuvre de Nâzim Hikmet, m'a profondément ému. 
Membre du parti communiste turc, traqué, incarcéré pendant quinze ans (douze mois pour un seul poème en 1933), exilé en URSS puis en Pologne, Nâzim Hikmet incarne la figure de l'écrivain résistant. Sa poésie du quotidien élémentaire, avec ses personnages d'épiciers, de cordonniers, de tailleurs, de voisins en bleu de travail, d'enfants gourmands et d'espiègles amoureuses, de chats et d'oiseaux porte à hauteur d'homme les valeurs universelles de la paix et de la liberté. Nâzim Hikmet dédaigne les plastrons des métaphores. Il préfère l'humour sur lui-même, du genre [je ne crois en rien mais il m'arrive de lire dans le marc de café] et manie aussi bien la fable naïve que le manifeste engagé. Dans la Turquie d'aujourd'hui, oppressée par un dictateur islamiste, souhaitons que ses vers continuent de courir dans les rues, parmi les étals aux parfums de safran et sur les lèvres des belles énamourées.Résultat de recherche d'images pour "nazim hikmet"

Extraits :

Les lampes de l'épicier Karabet sont allumées,
Le citoyen arménien n'a jamais pardonné
Que l'on ait égorgé son père
Sur la montagne kurde
Mais il t'aime,
Parce que toi non plus tu n'as pas pardonné
A ceux qui ont marqué de cette tache noire
Le front du peuple turc.

*

Je suis dans la clarté qui s'avance
Mes mains sont toutes pleines de désir
Le monde est beau
Mes yeux ne se lassent pas de regarder les arbres
Les arbres si verts, les arbres si pleins d'espoir
Un sentier s'en va à travers les mûriers
Je suis à la fenêtre de l'infirmerie
Je ne sens pas l'odeur des médicaments
Les oeillets ont dû s'ouvrir quelque part
Etre captif, là n'est pas la question
Il s'agit de ne pas se rendre
Voilà

Photo de Jean-Pierre Nercam et Gérard Hello par Vincent Maurin
Portrait de Nâzim Hikmet, leblebitozu.com


mercredi 18 janvier 2017

36 choses à faire avant de mourir

Hervé Bougel, éditeur néo bordelais au Pré carré, propose à qui le souhaite de rédiger une liste numérotée de 36 choses à faire avant de mourir. Je trouve l'idée séduisante. J'en aime le caractère injonctif. Plus qu'un désir, il exprime une volonté. Une volonté avant la mort. Dont l'urgence est évidemment plus marquée si le rédacteur entre dans l'âge avancé.
C'est mon cas. Bientôt soixante-deux ans. Mais je rencontre un problème avec cette liste. Je peux éventuellement désirer faire trente-six choses avant le gong final (manger une deuxième fois de la lamproie bordelaise mitonnée à la maison par une excellente cuisinière, visiter le musée de l'Ermitage en mettant mes pas dans ceux de Dostoïevski, revoir tel ou tel copain de collège...)
En revanche, s'il s'agit de figer dans le grain du papier une volonté, une volonté presque dernière, ma liste n'atteindra pas le numéro trente-six. Loin de là. Est-ce à dire que, fort peu désirant, enclin qui sait au renoncement, ma volonté se réduit chaque jour davantage ? C'est probable. Mes proches connaissent mes penchants crépusculaires. La lucidité sur le monde et sur soi a un prix lourd à payer. L'amenuisement déjà me ronge. Dans quinze ans, il n'y aura plus rien. Alors voilà ma liste. Forcément tragique.

1 - Aider ma compagne à guérir de sa maladie
2 - Aider mon vieil ami à guérir de sa maladie
3 - Aider mon frère à guérir de sa maladie
4 - Publier un autre roman chez Gallimard
5 - Retourner à Venise avec ma compagne
6 - Donner le goût de la lecture à mon petit-fils adoptif
7 - Trouver des héritiers pour nos livres et nos tableaux
8 - Publier un dernier recueil de poèmes
9 - Faire un voyage à Amsterdam avec ma compagne
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Si vous souhaitez en savoir plus sur l'entreprise des éditions Pré carré fondées en 1997 par Hervé Bougel, visitez leur site precarrediteur.fr

Image precarrediteur.fr

mardi 17 janvier 2017

Miguel Hernàndez, Recueils d'absences

«  Qu’ai-je donc fait pour que l’on mette
dans ma vie autant de prisons ? »
1939 en Espagne pendant la guerre civile. Le poète Miguel Hernández, engagé dans les rangs des Républicains et membre du parti communiste, est condamné à la réclusion perpétuelle par le régime franquiste. Il meurt trois ans plus tard dans sa cellule. Tuberculose. Il a trente-deux ans. Un poète assassiné. Un de plus. Les dictatures n’aiment pas les mots qui ont des ailes.
Jean-Marc Undriener publie aux éditions Centrifuges sa traduction de la dernière œuvre du poète Cancionero y romancero de ausencias / Recueils d’absences. Il s’agit d’un ensemble inachevé, où se mêlent tercets dépouillés à l’extrême, sonnets  et poèmes au long cours, incantatoires. Seize textes raturés, poignants dans leur inachèvement même, prolongent ce livre des absences.
L’absence du corps de l’aimée, du corps amoureux et nourricier. L’absence du fils mort à dix mois. L’absence de liberté. L’absence d’espoir et de perspective. De sens ?
« C’est pour cela que les gares
ont le goût de la mort, tout comme les ports.
C’est pour cela qu’à notre départ
les mouchoirs s’effeuillent.
Nous sommes tels des cadavres ambulants
dans l’horizon, loin. »

Résultat de recherche d'images pour "miguel hernandez poemas"La genèse de ce magnifique recueil d’ombre et de lumière, de lait et de miel, de vent et de cendre est rigoureusement établie par Jean-Marc Undriener : « …les Recueils d’absences constituent l’ultime et fascinant témoignage d’un poète saisi par l’urgence, un poète en quête de sens, en constante évolution, en constante interrogation, un poète dont l’œuvre la plus aboutie est, paradoxalement, celle qui n’aura jamais vu le jour. »
Plusieurs encres du peintre Fusco accompagnent l’ouvrage des mots. Elles représentent un corps d’homme flottant dans l’air (l’éther ?). Ses bras sont écartés. Un rayon de lumière noire traverse (crucifie ?) ce corps offert. Le mystère demeure. Comment pourrait-il en être autrement quand triomphent  les forces du mal ?
Les lecteurs hispanophones trouveront l’original de ce Cancionero y romancero de ausencias sur le site mhernandez.narod.ru/poesia.htm
Extraits :

Dis-moi depuis là-bas, en bas,
les mots je t’aime.
Parles-tu sous la terre ?
Je parle comme le silence.
Aimes-tu sous la terre ?
Sous la terre j’aime
parce que là où tu traverses
mon corps aussi veut traverser.
Je brûle de puis là-bas, dessous
et j’allume ton souvenir.

*

Je suis une fenêtre ouverte qui écoute,
par laquelle regarder la vie ténébreuse.
Mais il y a toujours, dans le combat, un rayon de soleil
Qui finit par laisser l’ombre pour morte.

*

Emmenez-moi au cimetière
des vieilles chaussures.
Passez-moi à toute heure
le chiendent du balai.
Semez-moi comme on sème
des statues au regard rigide.
Dans un jardin de bouches,
futures et dorées,
mon ombre s’illuminera.


Recueils d’absences de Miguel Hernández, (plus de deux cents pages sur beau papier coquille d’œuf, couverture à rabat), est disponible chez votre libraire ou sur le site des éditions Centrifuges. Il coûte 15 euros.

Image 1 : cornadasparatodos.blogspot.com

Image 2 : www.fibrillations.net

samedi 7 janvier 2017

Murielle Compère-Demarcy, Dans la course, hors circuit

La poésie directement engagée dans le domaine du politique n'est pas morte. Elle est même bien vivante sous la plume de Murielle Compère-Demarcy. Le titre de son recueil Dans la course, hors circuit, publié aux éditions Tarmac est en soi un manifeste. Comment ne pas penser à l'allégorie smithienne de l'échelle avec sa multiplicité de barreaux... Tout en haut, ceux qui gagnent la course. Tout en bas ceux qui restent hors circuit.
Nous savons bien que cette réalité est plus que jamais d'actualité, plus que jamais brutale, plus que jamais cynique... Nous n'ignorons pas, un pape même l'a déclaré urbi et orbi, que l'homme est un déchet destiné à alimenter les intestins de la puissance financière. Tout nutriment incompatible est impitoyablement rejeté dans les égouts via les caniveaux de nos villes. Il y a, toujours, un barreau plus bas que le dernier barreau sur l'échelle d'Adam Smith...
La collection carnets de route des éditions Tarmac est une volonté militante de son animateur Jean-Claude Goiri. " Dire non à la barbarie sous toutes ses formes qui se débat à nos portes... Rien de pire que le silence."
Mais revenons au livre. Il est composé de deux longs poèmes à dire, à crier, à théâtraliser sur les agoras et dans les forums de la Cité démembrée, dépecée, éviscérée. Loin du simulacre des écrans qui organisent les émotions marchandisées, dans la zone du dehors chère à Alain Damasio.

Extraits :

Avale ton pain, réfléchis moins
travaille bien
Tu grimperas
tu iras loin
boulet de pauvreté
au pied de ta parcelle
de ton lopin de serf
Travaille bien, c'est bosser bien
gagner un peu moins, bosser bien
gagner moins
arme tes bras
bétonne tes reins
Exécute !

*

De nouveaux champignons
poussent
hybrides de terres incultes
en recyclage du remugle
au pied des futures maisons
médicales
Les mercenaires de la santé
déjà fouaillent
dépouillent vos entrailles
nos déprimes
aux stéthoscopes de l'intérim

Dans la course, hors circuit de Murielle Compère-Demarcy  est illustré par des dessins de Jacques Cauda. Il coûte huit euros. Vous pouvez le commander depuis ce blog en cliquant sur le lien des éditions Tarmac.

vendredi 6 janvier 2017

Jaume Cabré, Confiteor

La quête de la beauté est d’autant plus tragique que la banalité du mal, agi et subi, domine l’homme depuis ses commencements. Cette question philosophique majeure traverse de part en part, crible pourrait-on dire, le Confiteor de Jaume Cabré, roman de neuf cents pages. Hannah Arendt, Theodor Adorno,  Paul Celan, Primo Levi accompagnent évidemment le professeur Adrià Ardèvol dans ses recherches.
Auteur d’une volumineuse Histoire de la pensée européenne saluée par la critique, parviendra-t-il à écrire l’histoire du mal ? Aura-t-il le temps de se réconcilier avec l’insaisissable Sara Voltes-Epstein qu’il aime et qui l’aime ? Amènera-t-il son ami Bernat Plensa à renoncer à publier de mauvais romans  pour se consacrer exclusivement à la musique où il excelle ?
Il faudrait poser la question au shérif Carson et au glorieux Aigle-Noir de la tribu des Arapahos. Ils ont veillé sur Adrià quand il était enfant. Ils lui ont donné l’affection dont il manquait et continuent d’intervenir, en crachant par terre s’il le faut, dans les conversations auxquelles ils ne sont pas invités.
Autant le reconnaître d’emblée, cette œuvre de Jaume Cabré est totalement indéfinissable. Toutes sortes d’aventures y foisonnent, celle d’un violon Storioni notamment, depuis la forêt où son bois a poussé en Catalogne il y a plusieurs siècles jusqu’à une maison de retraite à Amsterdam dans les années deux mille, en passant par le camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau…
Les personnages, comment pourrait-il en être autrement, sont à la mesure des dédales qui brouillent et confondent les espaces (monastères, ateliers de luthiers, salles de tortures au Vatican et en Allemagne, cabinets de curiosités, bibliothèques, chambres à coucher, musée à Tübingen et rues de Barcelone, cimetière…) : on ne peut jamais être sûr qu’ils sont là et pas ailleurs, dans ce temps et pas dans un autre.
Jaume Cabré l’a voulu ainsi dans la structure de son ouvrage. Dans une même phrase, sans aucune transition, le narrateur Adrià passe du je au il en parlant de lui. Dans un même paragraphe, un bourreau de l’Inquisition au Moyen Age qui suspend un blasphémateur à un croc de boucher devient un bourreau allemand qui dépèce un enfant juif pour tester sa résistance à des produits chimiques. Le lecteur devine ce que les identités multiples ont en commun de volonté fanatique quand il s’agit d’exercer le mal y compris pour atteindre et s’approprier la beauté, celle de la musique tout particulièrement, laquelle est omniprésente dans ce terrifiant Confiteor. Personne ne sortira épargné de ce roman par ailleurs polyglotte et pour cause... Pas même les figurines de plomb du shérif et de l’Indien.Résultat de recherche d'images pour "jaume cabré"
Les personnes intéressées par l’univers de Jaume Cabré peuvent consulter les articles de Philippe Lefait et Laurent Mauvignier en cliquant sur les liens de l’encyclopédie Wikipédia. Il y a aussi des interviews.

Traduit du catalan par Edmond Raillard, Confiteor de Jaume Cabré est disponible dans la collection de poche Babel.

Image courrierinternational.com

lundi 2 janvier 2017

Edith Masson et William Mathieu dans Voleur de feu

La revue Voleur de feu, dont j'ai déjà eu le plaisir de parler ici, nous offre dans sa cinquième livraison les regards croisés d'Edith Masson et de William Mathieu sur les lieux où ils ont grandi en Lorraine. La "chair molle des champs retournés coupant des chaumes", travaillée jusqu'à la fatigue par la matière poétique massonienne, entretient avec les crassiers à la pointe sèche de William Mathieu une conversation élémentaire qui touche à l'universel de la terre comme lecture. Le Vendéen James Sacré ou l'Ardennais Guy Goffette, ces arpenteurs de lignes à réinventer sans cesse, trouveraient là des paysages et des émotions à partager.  
L'ensemble des poèmes d'Edith Masson s'intitule ce que disent les pies. Il a été traduit en allemand par François Dillinger et Lionel-Edouard Martin. Le lecteur pensera bien sûr à la grande hache de l'Histoire abattue sur cette région défigurée jusque dans ses entrailles. Edith Masson écrit :
tu puais
la guerre certains soirs tu puais
la guerre
de ton père la tienne et les autres
guerres toutes puent dans nos mains les frotter ne
sert à rien elles t'ont pissé dessus...

du stankest
nach krieg manchmal abends stankest du
nach dem krieg
deines vaters nach deinem und den anderen
kriegen alle stinken in unseren händen sauber reiben
nutzt nichts sie haben dir draufgepisst...

Les dessins de William Mathieu, composés sur papier ou sur écran, disent l'amertume des jours et l'épuisement de l'horizon. L'Ouverture sur le monde ne sort pas du rectangle de la télévision en noir et blanc des années soixante. La grande pointeuse de l'usine et de la mine carillonne aussi au salon après les Soleils quotidiens trompeurs de l'estaminet. Pour tenir malgré l'Obsession spongieuse qui dévore les poumons de la bête humaine dans les galeries de la mort.Afficher l'image d'origine
Lisez cette belle revue dont la pagination est augmentée depuis le numéro quatre. Vous pouvez la commander en cliquant sur le lien affiché ici même.

Torche de William Mathieu sur le site williammathieu.eu

dimanche 18 décembre 2016

Dessaisissement de la conscience immédiate

La conscience immédiate est le seuil d'une maison qui comporte bien des couloirs qui distribuent bien des pièces et des étages pour peu qu'il y ait des escaliers. Reste à savoir ce qui se dessaisit en elle pour se couper du monde sensible et entrer ainsi dans  un état antiphénoménologique. Il faudrait d'abord s'assurer que la conscience est bien un lieu inscrit dans une substance, la chair par exemple, plutôt qu'une fumisterie de la transcendance.
Autant de chemins philosophiques qui égarent les agencements de mon entendement et suspendent des toiles d'araignées sous mon plafond. 
Mais l'expression "dessaisissement de la conscience immédiate", de Paul Ricoeur, me séduit. Elle fait écho à une autre expression, d'Antonin Artaud : " Je ne m'appartiens que par éclaircies."
Fondre ces deux expressions en une seule me caractérise assez bien.
Je ne m'appartiens que par éclaircies ; le reste du temps ma conscience immédiate se dessaisit.
J'aimerais pouvoir démonter les mécanismes de ce dessaisissement comme il me plairait d'élucider les éclaircies qui ouvrent un accès à la plénitude de l'appartenance à soi. 
Il s'agit là d'un désir qui restera lettre morte car il ne sera mu par aucune volonté. 
Le désir et la volonté, en leur opacité, empoisonnent l'être humain depuis les commencements. Au vingt-deuxième siècle, quand les grandes catastrophes auront détruit toutes les puissances biologiques, seule la condition d'être robot sera enviable. Sans âme qui dépose ses immondices avant même le seuil de la maison. L'âme est un piège inventé par des cerveaux malades qui ne supportaient pas d'avoir de la chair enfermée dans un corps corruptible. 


mardi 13 décembre 2016

La Piscine, L'âme des lieux sans âme

Dans sa deuxième livraison, la revue graphique et littéraire La piscine dévoile L'âme des lieux sans âme. Un lieu sans âme échappe aux désignations ordinaires de l'espace et du temps. C'est un fragment mis entre parenthèses dans le tout du paysage. On peut l'appeler seuil, entrée, coulisse, abord, interstice, sortie, anfractuosité, ébauche, aparté, passage, rupture... Le regard en remanie sans arrêt les contours et s'y confronte à l'abandon, à la solitude, à l'effroi. Mais l'âme a le cuir solide. Même absente elle est toujours là. Blottie contre un parapet ou penchée sur un caniveau, dans un troisième sous-sol ou sur la plus haute tour, elle vous fait signe. Elle résiste.
Dans Gymnopédie N°1-Erik Satie, Olivier Morisse a pris dans son viseur un ensemble d'immeubles perchés sur une dalle, la nuit. Filaments de gris sur fond noir. Trois taches de lumière, éloignées les unes des autres, témoignent de présences humaines. On éprouve la sensation d'un vide qui naufrage la pensée. On se dit que les habitants ont quitté les lieux. On se dit que ceux qui restent sont en danger.
Dans L'ouvrier de la Défense-octobre 2013, Pascal Reydet montre la courbe d'une passerelle en altitude parmi des façades aux lignes anguleuses. Casque de chantier sur la tête et mains dans les poches, un individu fige son corps pour l'objectif du photographe. Autour de lui, des matériaux sur des palettes, également figés, évoquent le travail de la construction. L'ouvrier a laissé sa fragilité au vestiaire. La démesure du quartier n'aura pas sa peau.
L'image S'il y a lieu de Pierre Ménard pose, à la manière de Georges Perec, la question de ce que l'on voit sans voir et qui imprègne cependant la conscience floue. L'infra-ordinaire peut composer un lieu. Ou pas. Ici, à un carrefour abandonné dont les lignes s'effacent, le pictogramme du passage piétons dans son cadre jaune pourrait saluer le regard qui s'attarde. Si quelqu'un vient.
Hélène Desplechin a peut-être la nostalgie des écoles qui sentaient l'encre violette. Le couloir de La classe abandonnée, avec ses portemanteaux des années soixante, nous rappelle les récitations de Victor Hugo et les vieilles cartes de Vidal de La Blache. Des enfants d'aujourd'hui, qui sait, viennent y mêler leurs voix à celles qui se sont tues.
On ne sait pas où se trouve la dame brune en tenue d'été de Etat des lieux, Audrey. Hélène Katz laisse le spectateur à ses conjectures. A lui d'agrandir la bande ocre de l'image. Le noir à l'entour dévoilera quelque chose du décor. Mais qu'en est-il du regard en coin d'Audrey ? Que dit-il de son attente si elle attend, de son inquiétude si elle est inquiète ?
Il m'est évidemment impossible de mentionner tous les illustrateurs de La piscine. Notons les lumières minimalistes de Chloé Latouche, Indication, de Michel Mazzoni, Underground, Kyoto 2014, de Guillaume Le Baube, Hôtel Stars, photo issue de la série NoX. Autant d'invariants qui énoncent une certaine forme de détresse dans tous les paysages du monde. Dans un genre plus hopperien, les images de Christophe Dillinger, I sat there, et de Julie Verin, Fumoir, sont aussi remarquables avec leur présence en creux de l'humain.
De nombreux récits, accompagnent cette riche iconographie. On notera le saisissant je suis guichetier de Thierry Roquet, Bouche-cariée de Laurine Roux, Chambre d'hôtel pour gens pauvres de Marlène Tissot et Pays du dessous de Christophe Grossi.
La poésie est aussi présente avec, parmi d'autres, les beaux textes d'Edith Masson et Brigitte Giraud, laquelle constate que "c'est souvent par les jambes que la mémoire remonte".Résultat de recherche d'images pour "revue la piscine"
Puisque c'est bientôt Noël, j'invite mes lecteurs à marcher jusqu'à leur librairie préférée pour commander La piscine. La revue coûte quinze euros. Un cadeau pas cher et enrichissant pour celui qui offre comme pour celui qui reçoit.

Image liminaire.fr

jeudi 8 décembre 2016

La revue Phaéton, livraison 2016

La revue annuelle Phaéton est aussi bien une auberge espagnole (au bon sens du terme) qu'une tour de Babel avec ses résonances portugaises, russes, occitanes, anglaises et castillanes. Pluridisciplinaire, elle entretient un dialogue fécond entre les sciences humaines, les littératures et même la théologie.
Dans la livraison de l'année 2016 dédiée au regretté Henri Martin (fondateur de la librairie La machine à lire), Patrick Chastenet évoque la pensée de Jacques Ellul. Un chemin d'homme libre engagé dans sa foi protestante comme dans ses interprétations marxiennes du corps social. Un "écologiste" avant l'heure qui prônait une certaine ascèse mais pas la décroissance. Un visionnaire du rôle de la technique experte dans nos démocraties aujourd'hui confisquées par le libéralisme numérique...
Autre parcours singulier, celui de Juana Inés de la Cruz à Mexico au 17ème siècle. Paule Béterous nous livre un exercice d'admiration pour cette femme créole qui choisit le couvent afin d'écrire librement sa poésie tout en s'intéressant à l'observation scientifique et à la question de l'égalité des femmes, de leur accès à la connaissance.
Phaéton offre ensuite dans son cahier central une anthologie d'écrits de femmes (Sappho, Louise Labé, Emily Jane Brontë, Colette, Gabriela Mistral, Anna Akhmatova...) suivi d'un ensemble de poèmes intitulé Merles blancs. On y rencontre Jean-Luc Maxence, Florence Vanoli, le Guadeloupéen Daniel Maximin, la Brésilienne Cecilia Meireles, l'incomparable Bernard Manciet et Claire Massart dont j'aime la sensibilité aux éléments poreux des paysages qui fondent étroitement extériorité et intériorité.
La dernière partie de la revue, plus multiforme, mêle communications universitaires, nouvelles (La fleur ultime de Ronald Vega notamment, dont la chute est redoutable), récits brefs, extrait de pièce de théâtre (Courteline) et questionnaire de Proust (la danseuse et chorégraphe Concha Castillo). On retiendra l'article de Sophie Jaussi, La parole-fantôme : un écho hanté. Cette parole des gens de peu chers à Pierre Sansot, qui marque et qui fait mal, comme un membre amputé dont on garde la douleur jusqu'au dernier jour de l'absence...
Dans Le tigre et le papillon, Claire Mestre décrit l'oeuvre collective du photographe Arnaud Théval réalisée avec des surveillants de l'administration pénitentiaire. La déconstruction et la reconstruction de l'espace carcéral, de l'identité et de la fonction du surveillant, lui-même prisonnier des représentations symboliques de l'institution. 
Enfin, il faut noter la présence d'une iconographie très diverse : portait de Salvador Dali avec animal de compagnie par Libor Si, peinture d'Evelyne Petiteau en hommage aux femmes de lettres du monde, corps en mouvement de Roberto Giostra, diptyque au seuil du Taj Mahal signé Pierre Feytout...Afficher l'image d'origine
La revue Phaéton, qui a des correspondants sur tous les continents, est dirigée par Pierre Landete, écrivain et traducteur de l'espagnol. Disponible en librairie, elle coûte 20 euros.

Site : www.revue-phaeton.fr
Image entrevues.org