mardi 22 novembre 2016

Laure Gauthier, La cité dolente

"Ce désordre atonal du fond de tiroir. Ce lieu de repli, où la main enfant cherche entre les restes de ficelle, les élastiques et les allumettes un morceau de scotch. Ces lieux sans catégories. Il y avait là une de mes trousses, tachée d'encre, et une règle carrée, cassée.
Que jeter ?"
La cité dolente de Laure Gauthier est un "imprécis" de décomposition organique. Une scènographie de notre monde à l'agonie. Avant sa mise à mort dans l'arène de l'absurde. Rien ne peut être jeté, et surtout pas ce qui manque parmi les restes au fond du tiroir...
Un homme vieillissant qui [ne sait plus marcher] choisit de se retirer dans un hospice. La frontière est si poreuse entre le dedans et le dehors qu'aucun passage ne s'ouvre plus.
Des images traversent sa conscience, bric-à-brac de souvenirs mal bricolés, de perceptions de "la petite trace de soi", de visions de mères et d'enfants assassinés au coulis de framboise. De la femme aimée, "buste devenu plaine", dont les cendres épandues ne tenaient pas en terre.
En sept chants augmentés d'un huitième intitulé L'avant dernier chant, Laure Gauthier exprime sans concession la matière de sa lucidité insécure. En deçà et au-delà des corps travaillés par l'humus et la chimie Haribo qui corrompt les chairs enfantines...
La langue, réduite à la pâture des faits divers dans les journaux et sur les écrans, n'échappe pas non plus au dépeçage. "La syntaxe se délite", écrit Laure Gauthier. Celle des mots, des images, et le réel invertébré/décérébré sombre dans le cauchemar concentrationnaire.
Le chant sixième montre l'hébétude des deux cents rationnaires attablés au réfectoire de l'hospice. Trente minutes de mastication mécanique comme dans un élevage en batterie. Avec "le son humide, étouffé de la blanquette de veau" qui couture les bouches déjà condamnées par "l'entonnoir à histoires", et abolit la notion même d'humain...
L'avant dernier chant, le plus court, le plus énigmatique aussi, (une grande ombre le hante), peut se comprendre comme un suspens avant la grande rupture.
Le dernier chant est impossible à écrire. Personne jamais ne l'a entendu, il est sans lieu, sans catégories.
La texture textuelle de Laure Gauthier se tisse et se détisse comme un assemblage hétéroclite d'épaves. Dans une casse de soi, sous le ciel éventré des catastrophes. Au jeu des appariements, on peut évoquer l'univers d'Elfriede Jelinek (Enfants des morts) ou celui du cirque Archaos.Résultat de recherche d'images pour "Laure gauthier la cité dolente"
Et c'est bien, hélas, de chaos qu'il s'agit.
La cité dolente de Laure Gauthier est disponible aux éditions Châtelet-Voltaire contre la somme de huit euros.

Image fnac.com

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