mercredi 14 septembre 2016

Frédéric Fiolof, La magie dans les villes

Frédéric Fiolof signe avec La magie dans les villes une curiosité comme on en voit peu dans la littérature contemporaine. Ni roman ni récit, texte à fragmentations plutôt, à lire dans les cabinets et partout ailleurs.
Ce livre dresse l'impossible inventaire des états d'âme et de corps du personnage principal par le truchement de toutes sortes de situations dont certaines confinent au picaresque. Dans le monde des vivants comme dans celui des morts et c'est peut-être le même quand disparaissent les murs des cimetières. 
Autant dire que le portrait de l'individu, par ailleurs bon mari bon père et même bon employé malgré son goût de la lecture pendant les heures de travail, échappe à toute ligne définie. Sans jamais chercher à se départir de la banalité, celle d'ici-bas et celle de l'au-delà, il s'acquitte par des pirouettes de l'énigme de vivre et de mourir. Comment, par exemple, tuer un poulet alors qu'on n'est doué pour aucun travail manuel ? Ou, encore, comment arroser "les chagrins asséchés" du mercredi en déambulant dans son quartier ? 
Tour à tour triste et burlesque, joyeux et tendre, avec mille et une coquecigrues à la bouche ou à celle de son double, il fait aussi d'étonnantes rencontres. Un certain Robert Walser au chapeau mou dans un paysage de neige. Un oncle défunt qui sirote une bière à la terrasse d'un troquet. Un ange intermittent aux ailes poussiéreuses. Une vieille fée raplapla qui traîne son balluchon. 
Il entretient avec ces personnages des conciliabules qui turbulent à la façon des Diablogues de Roland Dubillard. La cocasserie est absurde mais toujours philosophique. Et touchante en son évocation de la gaucherie à épouser l'ordinaire des jours, des questions à tiroirs vides ou pleins, de l'amour sans cesse inventé et rêvé. On peut aussi penser à l'univers de Bohumil Hrabal. Poétique et désopilant pour faire des espiègleries à la norme ajustée de travers. Y compris dans l'art de la cuisine. La potée au chou, c'est quand même meilleur avec du coulis de marjolaine. Et tellement plus amusant ! Et tellement plus magique !
Extrait :
"Un matin il a croisé son double devant la boulangerie. Un beau double bien comme lui. Enfin, juste un peu plus grand et un peu plus triste.
- C'est étonnant, je n'aurais jamais cru vous rencontrer. Je veux dire, comme ça, à deux pas de chez moi.
- Ca n'a rien d'étonnant, on a tous un double quelque part, et les hommes sont faits pour se rencontrer. Alors vous savez, ici ou ailleurs, aujourd'hui ou demain...
- Ah, bon, c'est tout l'effet que ça vous fait ? Vous n'êtes pas très impressionnable...
- Je dois reconnaître que vous ne m'impressionnez pas beaucoup plus que moi-même - question de tempérament, sans doute.
Mais lui, rongé de curiosité, voulait connaître son double.
- Vous aussi, vous avez voyagé ? Vous avez enterré des morts ? Vous avez eu des enfants ?
- A peu de choses près. Pour les voyages, c'était surtout Limoges, parce que ma mère y vivait. Et puis la Chine, trois fois, en mission de service. Pour le reste, c'est un peu comme vous dites. La vie est longue. Et je n'ai pas eu la patience de la passer devant cette boulangerie - où le pain est pourtant très bon.
- C'est incroyable ! Je suis sûr que vous aimez aussi sentir la neige crisser sous vos pieds et que votre grand-père a été croupier dans sa jeunesse.
- On ne peut rien vous cacher, alors mieux vaut s'en tenir là. Je ne voudrais pas continuer à vous décevoir."Résultat de recherche d'images pour "frédéric fiolof"
La magie dans les villes de Frédéric Fiolof est publié par les éditions Quidam (12 €), lesquelles persistent pour notre bonheur dans leurs choix singuliers. L'illustration de la couverture, traversée par un banc de sardines sur claies bleues, est une oeuvre de Hugues Vollant.

Image fnac.com

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