lundi 7 mars 2016

Béatrice Mauri, iench

Béatrice Mauri signe avec iench un récit qui emporte le lecteur dans les fanges les plus nauséeuses de la désespérance humaine, tissée de solitudes et de ruminations rances, de suints corporels par tous les orifices, de sordide à tous les étages de l'âme. Le Bundle, bègue qui a [perdu tous ses mots de dehors] après une tentative de noyade, est un narrateur dont la langue est tout entière retournée vers l'intérieur, rebroussée même, à la façon d'un glossolale pris au piège de son vertige. Il raconte le naufrage de La mère, dite aussi, parmi une multitude de sobriquets qui auraient fait le miel de Frédéric Dard, La Grognasse, La Vipère, La Belle au gras dormant, L'escaladeuse de braguette et La fierce... Avec ses "épaules de fenêtrière" et ses "bas résines", ses "lèvres au pinceau lignes appliquées lames coupantes qui font d'un bisou une écharde". Elle se fait visiter les conduits par toutes sortes de ramoneurs qui n'ont jamais vu la suie et ne connaît de tendresse que le col froid des bouteilles de "whisk". [Amuse-gueule à proxo], cette mère n'amuse pas du tout Le Bundle, le iench, le chien. Lui qui se définit comme une "emmerde suintée", se verrait bien expédier La frénétique au fond du puits. Mais que peut-il faire si son frérot Le munch est toujours à pédaler sur son vélo avec son pied bot ? Comment se faire entendre d'un aîné qui se forge des voyages dans un orient inaccessible, peuplé de "femmes dorées douces de sucre" qui "servent bien le thé paraît que c'est une herbe qu'on boit après diffusion dans l'eau" ? Comment mettre un terme à cet enfer où chacun est le prisonnier de chacun, sous l'ombre disloquée du Paternel ? Pour que le repos enfin vienne ?
Dans sa préface, Edith Azam évoque avec raison la maîtrise avec laquelle Béatrice Mauri tient la bride à ses mots inventés détournés tout en les faisant bouillonner et mentionne l'univers de Faulkner. On peut y ajouter celui d'Elfriede Jelinek dans Enfants des morts. La même violence de l'écriture y dépèce les corps et les désirs les plus opaques, dissèque sans complaisance les tourmentes de l'humain en zone de catastrophe. Quel "putrain" !
iench, de Béatrice Mauri est publié par Les éditions Moires, jeune maison au courage audacieux dans ses choix singuliers.


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