jeudi 24 mars 2016

Aymeric Patricot, Les petits Blancs

Aymeric Patricot aime prendre des risques. Son essai Les petits Blancs Un voyage dans la France d'en bas, par la seule mention de "petit Blanc", aurait pu lui attirer les foudres de la gauche bien pensante ou plus radicale, et, à l'opposé, séduire la droite dure voire extrême. Le journal Le Monde refusa de chroniquer l'ouvrage sans même l'avoir lu cependant que le polémiste Eric Zemmour s'en emparait avec quelque gourmandise. Dans un pays dont l'intelligentsia germanopratine refuse d'entendre parler de statistiques ethniques, les accusations de racialisme ou carrément de racisme ont vite fait de pleuvoir... Surtout si un histrion alimente à dessein le flou...
Aymeric Patricot précise pourtant sa place et sa posture. " Ma position est sans doute celle du petit-bourgeois en voie de déclassement." Il évoque son père devenu médecin dans le service public, une carrière éprouvante et marquée par un sentiment d'échec au plan des idéaux malgré le confort matériel. Il dit, en toute sincérité, que [son éducation, son niveau de vie, sa santé mentale, ses aspirations] le séparent des petits Blancs mais que la frontière entre eux et lui est parfois poreuse.
Les petits Blancs donc ! Que les Américains appellent white trash ! Qui sont-ils au juste ? De l'employé précaire qui végète dans son quartier sensible au professeur vacataire non rémunéré pendant les vacances scolaires en passant par toute la piétaille jeune ou vieille, active ou retraitée de l'industrie et du commerce, de l'agriculture, la catégorisation sociale est facile. Les caractérisations anthropologiques sont en revanche plus ardues à cerner tant elles sont empreintes de porosités diverses. Aymeric Patricot, en s'appuyant sur la culture populaire, le rap, la télévision... et les nombreux témoignages qu'il a recueillis, en distingue quatre.
1 - Un genre particulier de fêtes (se déchirer la tête comme un zombie à grandes lampées de rhum, de bière, de vodka...)
2 - Le sentiment d'être perdu pour la société ("Non, vous ne valez rien, votre nature est mauvaise et personne n'a même envie de vous sortir de ce marasme.)
3 - Les stigmates physiques et mentaux de la pauvreté (obésité, dos voûté, timidité maladive, négligence vestimentaire, honte de soi.)
4 - Les passages à l'acte violent ou la tentation de la violence ("Des situations où le petit Blanc, ne supportant plus le piège dans lequel il est pris, fantasme d'en sortir par un coup d'éclat.")
Toute catégorisation est d'autant plus difficile à définir que s'institue, selon les discriminations vécues, un jeu complexe dans les rapports de dominé à dominant.  Telle situation ordinaire fera du dominé x le dominant y et inversement dans telle autre, à l'aune du coefficient d'oppression de chacun. " Que penser de l'individu qui subit une forme de discrimination tout en jouissant, face à un autre, d'une forme de privilège ? Victime d'un côté, oppresseur de l'autre ; discriminé le matin, discriminant le soir. Faut-il tenir certaines formes d'oppression pour plus fondamentales que d'autres ?"
Le lecteur, enfin, s'attardera longuement sur les portraits qui émaillent dans la plus grande justesse et le plus grand respect le récit-essai de l'auteur. Entre la haine des autres et la haine de soi, la rancoeur, la soumission, l'abjection... les sueurs froides sont garanties sur cette galère qui pourrait à chaque instant chavirer...
Le livre d'Aymeric Patricot a d'abord été publié aux éditions Plein jour dont le projet est de donner la parole à des écrivains pour exprimer la complexité sociale. Il vient d'être repris par les éditions Points en collection de poche et j'en recommande vivement la lecture.


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